Les frontières algéro-marocaines : plaque tournante de la contrebande

2 janvier 2010 - 23h38 - Maroc - Ecrit par : • Journaliste Free lance, • Doctorant en Sciences Economiques, • Président du Forum de la Jeunesse Rurale FOJER

Que découvre-t-on sur les chemins d’un fléau qui impacte toute l’économie ? Quelles causes, quels remèdes ? Focus.

La contrebande désigne le transport illégal de marchandises ou de personnes, en particulier à travers des frontières. Ceci, afin d’éviter de payer des taxes ou de faire entrer des produits interdits dans un pays ou, inversement, de les faire sortir malgré l’interdit (on parle alors d’évasion). Par extension, et comme il s’agit des mêmes réseaux, la contrebande peut concerner des personnes, pour leur permettre d’entrer ou de sortir d’un pays qui leur est fermé. Le plus souvent, les biens alimentent un marché noir, tandis que les individus sont contraints au travail clandestin.

L’histoire de la contrebande est aussi longue que controversée ; elle est probablement apparue le même jour où la première taxe a été créée. Dans les régions frontalières ou sur les côtes, la contrebande est, à certaines périodes de l’histoire, un élément économiquement structurant au point d’être un moteur des interventions étrangères par des puissances visant à mieux contrôler les flux de marchandises et de taxes.

Pour des raisons pratiques, la contrebande concerne généralement des produits de forte valeur par unité de volume (et de poids). Plus faciles à dissimuler, ceux-ci nécessitent d’impliquer moins de personnes et permettent, en outre, de mieux rentabiliser les frais de transport.

La contrebande a toujours été largement diversifiée, la seule condition pour qu’un produit en fasse l’objet étant que le trafic de celui-ci soit lucratif. De nos jours, elle concerne : les produits alimentaires, les médicaments, le tabac, la drogue, l’immigration clandestine, l’armement, l’alcool, etc.

Au Maroc, le phénomène de la contrebande constitue un défi majeur pour les pouvoirs publics, le secteur privé et la société civile. Malgré les grands efforts déployés par l’État pour mettre fin à ce fléau, les marchandises de contrebande, dont certaines ne répondent pas aux normes de qualité et de sécurité sanitaire, inondent toujours les marchés marocains portant préjudice à l’économie régionale et nationale.

Aux frontières algéro-marocaines, le carburant…

La région de l’Oriental est connue pour ses marchés où sont étalés les différentes marchandises de contrebande, comme ceux d’Oujda, dont certains sont structurés (souk El Fellah, souk Melilla, Kaissariat d’Angad et souk de Tanger) et d’autres populaires (souk Sidi Yahya, souk El Had et souk Larbaâ). Quelle est l’ampleur de la contrebande dans cette ville du Maroc ?

Déjà à une quarantaine de kilomètres de la capitale de la contrebande, les prémices des activités illicites sont visibles. Toutes sortes de carburants (de diesel à l’essence sans plomb) vous sont proposés par des gens sur la route menant à Oujda avec des prix stables et connus par tout le monde (à partir de 80 DH pour 30 litres d’essence ordinaire, mais plus on s’éloigne d’Oujda, plus les marges de transport augmentent le coût final, ce qui fait qu’à Berkane, les 30 litres de super atteignent 150 DH. Ces prix dépassent le seuil de 100 DH les 30 litres quand l’Algérie décide de rendre « réellement » les frontières imperméables.

En arrivant à Oujda la contrebande est remarquable et touche à peu près tout. Hormis le carburant, toutes sortes de produits sont disponibles dans les différents souks allant des produits alimentaires aux pièces de rechange, en passant par les médicaments, les produits électriques et électroménagers, les vêtements, le tissu et les produits de beauté etc. Ces articles sont vendus moins cher par rapport à l’intérieur du pays (des climatiseurs à partir de 2500 DH et des pneumatiques à partir de 200 DH l’unité).

Quel est le coût économique et social de la contrebande ?

Il n’est pas aisé de chiffrer les effets économiques et financiers d’une activité commerciale qui relève de la contrebande. Les statistiques officielles ne font aucune allusion à ce phénomène et il n’existe pas d’études ou enquêtes à l’échelle régionale ou nationale pour évaluer l’ampleur de la contrebande. Seule la presse marocaine aborde le problème de temps à autre en fonction de la conjoncture politique régionale. Avant même la fin de la question adressée à un responsable marocain, la réponse indique que 70% de l’économie de la région orientale dépend de la contrebande contre 50% en 1998. Ce dernier estime le chiffre d’affaires moyen de cette activité à 6 milliards de DH par an. Une étude de la Chambre de commerce et d’industrie réalisée en 2004 estime le manque à gagner en emplois à 32.400, contre à peine 6000 créés par l’activité illicite. Et ce n’est pas un hasard si l’Oriental souffre d’un taux de chômage entre 25 et 30%.

Selon une étude réalisée par la chambre du commerce américaine, le chiffre d’affaires annuel de la contrebande au Maroc est de l’ordre de 15 milliards de Dirhams (1,5 milliards d’Euros). Ce montant avoisine la valeur des exportations légales espagnoles vers le Maroc ou cinq fois le montant des transferts de près de 500.000 résidents marocains en Espagne (392 millions d’euros en 2005) ! Une perte sèche pour les entreprises et les pouvoirs publics.

Au niveau industriel les effets de la contrebande se traduisent par la fuite d’investisseurs et la fermeture d’entreprises opérant dans le secteur formel. Et de nombreux chantiers sont suspendus en attendant des jours meilleurs.

Ce phénomène a également des incidences sociales considérables sur les citoyens, y compris ceux de la région orientale, sans toujours être évidentes. La perte de recettes (taxes) publiques nuit à tous les programmes sociaux destinés à tous les Marocains. En outre, les marchandises et les objets de contrebande les plus communs peuvent contribuer à l’augmentation d’autres problèmes sociaux résultant de l’abus de substances comme l’alcool, les drogues illicites et le tabac. De plus, le crime organisé s’intéresse de plus en plus aux activités de contrebande.

Qu’est ce qui fait que le fléau prospère ?

Quels sont les facteurs qui nourrissent ce type d’activité ? Selon les économistes du développement les facteurs explicatifs de la contrebande sont à l’ordre de cinq à savoir : différentiel de politique commerciale, différentiel de politique de change, différentiel de prix, relation entre les deux pays et niveau différent d’efficacité des ports respectifs.

Dans la région orientale le commerce de la contrebande prospère notamment à cause de sa position géographique avec l’Algérie (de Saïdia au nord à Figuig au sud) et son éloignement des grands centres économiques du Royaume, notamment Casablanca, ce qui se répercute sur les prix des marchandises en provenance de ces centres, plus élevés que ceux provenant de la contrebande à cause du coût du transport.

D’autres facteurs favorisent cette activité illégale, notamment la faiblesse des structures économiques locales et régionales, qui ne sont pas en mesure d’assurer l’embauche des jeunes diplômés et non diplômés demandeurs de travail.

En 2008, le taux de chômage dans la région orientale atteint 20% (16,3% dans le monde rural contre 22,3% au niveau urbain). 24,4% de ces chômeurs sont du sexe féminin contre 19,2% de sexe masculin. Les périodes de sècheresse et la fermeture de plusieurs mines (dont la mine de charbon de Jérada). Une situation qui a poussé de nombreuses familles à émigrer où à chercher d’autres moyens de survie.

La fragilité du secteur productif ainsi que l’impact très faible des unités industrielles implantées dans la région sur l’emploi explique fondamentalement le recours des chômeurs et de la population migrante (exode rural) à la contrebande comme source de revenu.

L’omniprésence de ce type d’activité illicite à Oujda s’explique également par d’autres facteurs à savoir la distorsion des taxes entre le Maroc et l’Algérie, le poids de la subvention dans le prix des produits algériens et l’écart entre le taux de change officiel du dinar algérien et celui du marché parallèle. L’exemple le plus frappant concerne les produits céréaliers qui sont taxés à 90% au Maroc contre seulement 5% en Algérie. Il est donc facile de les importer de ce pays à des prix défiant toute concurrence. Un produit fortement subventionné en Algérie bénéficie du même avantage.

Devant ces effets néfastes de la contrebande, quelle stratégie nationale peut on définir pour éradiquer ce fléau qui coûte cher au Maroc et au Marocains ? De ce fait, Notre pays est appelé à inscrire la question de la contrebande dans un cadre stratégique qui repose sur cinq composantes : les réformes législatives et institutionnelles, la sécurité, la coopération internationale (Sud-Sud et Nord-Sud), la sensibilisation et la communication et enfin le développement et le co-développement.

Solution sécuritaire, mais pas seulement…

Au niveau sécuritaire, le Maroc doit adopter un plan d’action sécuritaire qui cible surtout les réseaux qui exercent ces activités illicites très lucratives et qui profitent de la vulnérabilité, de la précarité et de la pauvreté des gens. Au niveau de la coopération internationale, le Maroc est appelé à approfondir son dialogue politique et opérationnel avec l’Union Européenne en matière de lutte contre la contrebande et de la migration clandestine, sans oublier qu’il est important de faire un appel aux autorités algériennes pour coopérer dans la lutte contre ce phénomène et d’ouvrir les frontière maroco-algériennes.

La lutte contre ce fléau nécessite également le renforcement de la sensibilisation des citoyens pour les inciter à consommer les produits locaux et l’entreprise elle-même, par la mise à la disposition du consommateur d’un produit au rapport qualité/prix attrayant en veillant à ce que le marché soit suffisamment achalandé évitant ainsi toute pénurie qui conditionne la propension à l’informel.

L’État doit favoriser le développement d’une industrie locale compétitive capable de créer plus d’emplois et de produire la majorité de la consommation nationale, notamment par la diminution de la pression fiscale et adjuger quelques avantages préférentiels en considération de la situation que vit la région orientale.

La frontière maroco-algérienne est politiquement fermée, mais parallèlement, la circulation des biens et des personnes continue de manière informelle. Cet échange traduit indirectement le déphasage qui existe entre une réalité économique et une position politique. Un jour ou l’autre, les frontières s’ouvriront car on ne modifie pas la géographie. Le développement des réseaux terrestres et ferroviaires qui s’ensuivrait donnera un coup de fouet à l’économie maghrébine. Un marché de plus de 200 millions de consommateurs s’ouvrira pour la région qui aura tout à gagner et par conséquent la disparition de la contrebande.

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Sujets associés : Algérie - Contrefaçon - Consommation - Contrebande - Frontières Maroc - Algérie

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