Immobilier Marrakech : Dessous de tables et trafics, les milliards invisibles

22 février 2007 - 00h36 - Economie - Ecrit par : L.A

L’argent noir « habite » de plus en plus le logement au Maroc. Après avoir infesté l’immobilier d’acquisition, il infecte le secteur locatif. La ville de Marrakech est emblématique de cet argent noir qui échappe au fisc, à toute statistique crédible, au champ juridique et à la sphère administrative. Le « noir » aliène la structure du crédit immobilier, fragilise l’accès à la propriété et prive l’Etat de ressources fiscales colossales. Mais le « black » ne sévit pas uniquement dans le secteur immobilier. Il conquiert des pans entiers de l’économie du pays. Voyage dans la galaxie du fric informel.

À Marrakech, la gangrène du « noir » s’est étendue dangereusement aux pratiques locatives locales. Certes, le « r’han » (pseudo-hypothèque) est une pratique qui compte quelques siècles à son actif. Mais, jusqu’à une date récente, il était contenu dans des proportions acceptables.

Aujourd’hui, dans la ville ocre, le « r’han » devient la seule alternative praticable entre la hausse vertigineuse des loyers et la cherté des logements disponibles. Mais qu’est-ce que le « r’han » ? Il s’agit d’une location déguisée : Moyennant une somme importante, un propriétaire loue son bien immobilier contre une mensualité modique. En fait, il s’agit d’une espèce de prêt hypothécaire précaire. Il n’est inscrit nulle part. Ni à la conservation foncière, ni à l’enregistrement, ni a fortiori auprès de l’administration des impôts. L’argent empoché par le propriétaire va de plus en plus vers des acquisitions supplémentaires via le crédit : Ce qu’on a empoché auprès d’un locataire fantôme sert d’apport personnel dans le montage financier cela en vrac d’Asie. Cette masse gigantesque de labels confidentiels ou de marques piratées procure à ses distributeurs des plus-values considérables allant jusqu’au coefficient 20.

Le fisc n’y voit que du feu. Pourtant, les milliers d’« hommes-boutiques » qui nous harcèlent sur les terrasses de café, les trottoirs ou carrément au beau milieu des rues piétonnières ne sont pas invisibles. C’est même le seul côté positif de ce type d’informel : des milliers de nos jeunes concitoyennes et concitoyens s’adonnent à ce « commerce de promiscuité ». Des tonnes de produits sont donc dispatchées vers les quatre coins du Royaume sans le moindre bon de commande ou de livraison et sans facture.

Ahmed fait partie de la faune des importateurs de la gadgeterie asiatique. Lui ayant garanti l’anonymat, il a accepté de nous dévoiler une partie de son business. « Je voyage pratiquement une fois par mois en Asie. Je connais aujourd’hui les fabricants. Auparavant, je passais par des négociants qui grignotaient sur ma marge. Au lendemain de l’Aïd el Kabîr, j’ai commandé pour 30 grands conteneurs de jouets en Chine pour l’Achoura. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai d’ores et déjà multiplié ma mise par 9. En plus, il me reste près du quart du stock initial que je ne tarderai pas à liquider en vrac à quelqu’un d’autre », nous dit-il.

Fiscalement, Ahmed est imposé a minima. Il occupe un petit bureau au troisième étage d’un vieil immeuble de Casablanca. Où entrepose-t-il son stock  ? « Dans un entrepôt, pardi ! Avant chaque livraison, je loue la totalité ou une partie d’un entrepôt pour deux ou trois semaines. Comme mon système de distribution et de vente est performant, je liquide la marchandise souvent avant terme », assure-t-il. Comment fait-il pour les documents douaniers et bancaires ? « Je reçois des factures proforma (puis finales) obèses. Ma banque débloque les montants correspondants. À réception de la marchandise, le différentiel entre le déclaré et le réel m’est laissé de côté sur une banque asiatique. Je tiens à préciser ici que je rapatrie la totalité de cet argent au Maroc. Je le fais passer par des canaux que je ne vous indiquerai pas ». Du noir, même en devises étrangères !

Commerce informel

Est-il besoin d’évoquer ici les chalutiers de haute mer qui, au bout de semaines de pêche, regagnent le littoral national comme à leur sortie, c’est-à-dire vides ? Est-il besoin d’évoquer les contrebandes de cigarettes et d’alcools qui sévissent toujours ?

Toutes ces sources d’enrichissement illicite produisent des bénéfices colossaux qui vont se terrer on ne sait où. Alors l’inquiétude devient légitime quant à la probable utilisation de ces milliards de dirhams dans des activités qui peuvent aller jusqu’à menacer l’intégrité de l’Etat.

Certains trafiquants de drogue ont pactisé avec le salafisme. À l’heure où les menaces obscurantistes, souvent accoudées au produit des différents trafics, se multiplient autour de nos frontières, le Royaume se voit acculé à combattre l’accumulation de l’argent noir. D’où qu’il vienne !

Gazette du Maroc - Abdessamad Mouhieddine

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