L’image du Tifinagh : paysage iconographique et enseignement de l’Amazighe

6 mars 2004 - 11h25 - Culture - Ecrit par :

L’apprentissage de la langue amazighe, maternelle ou seconde, stipule que c’est en observant les objets porteurs d’écrits qui l’entourent que l’apprenant emmagasine les formes graphiques.
Mais comme le paysage iconographique marocain ignore quasi totalement Tifinagh, il faudra tout attendre de l’apprentissage formel : l’école...

Le paradoxe est flagrant : pendant que l’Amazighe continue triomphalement à occuper la première place parmi les langues en présence (strate, substrat, adstrat...), donc l’instrument de communication par excellence dans le quotidien des marocains, les contraintes de la civilisation de l’image lui contestent ce rang...L’image sonore est désormais insuffisante, le Tifinagh doit également être plus visuel, omniprésent.

On y travaille en effet et sans répit à tous les niveaux et avec différents partenaires : au sein de l’IRCAM ; dans des ONG de la mouvance amazighe, dans certains centres universitaires, et cela outre les initiatives individuelles ...
Mais la focalisation ne doit pas se centrer uniquement sur l’école ; c’est plutôt dans une perspective socioculturelle qu’il faudra tout concevoir, une perspective inhérente à la conscience collective et au quotidien.
Comment agir (réagir) donc afin que Tifinagh ait autant d’omniprésence - si non plus- que le latin et l’arabe ?

Il va sans conteste qu’une action d’une envergure pareille a fort besoin du concours de plusieurs secteurs en rapport direct et quotidien avec le grand public .
Nous pensons entre autres à la presse écrite de la mouvance amazighe, à un certain nombre d’organes qui se consacrent à l’amazighité .

Le rayonnement de cette presse dans le paysage médiatique est franchement prometteur ; un état des lieux le confirmera, mais il est regrettable qu’elle continue délibérément à reporter sa parution comme édition amazighe exclusivement en Tifinagh. Ses équipes de rédactions et collaborateurs résistent paraît-il à la décision qui octroya à Tifinagh son statut officiel en continuant à transcrire leurs articles en Amazighe et sur l’Amazighe par les caractères arabe et latin...Peut-être croient-elles que le lectorat n’est pas assez initié pour déchiffrer Tifinagh ou que tout simplement pour eux Tifinagh « ne fait pas l’affaire » !Cette position à la normande cesse de persuader, encore moins à convaincre car « quand on veut s’asseoir sur deux chaises à la fois, on ne s’assoit pratiquement nulle part »...

Il est par conséquent temps d’habituer les lecteurs et le grand public à admirer Tifinagh rayonner dans les kiosques, les librairies, les terrasses des cafés, les bureaux administratifs...Ceux qui ne savent pas lire , apprendront....
A l’instar des journalistes, les promoteurs locaux de la publicité peuvent jouer un rôle prépondérant pour la propagation de Tifinagh tout en faisant la propagande à leurs produits.

L’expérience a déjà commencé avec certains tracts publicitaires à caractère commercial ou éducatif ou autres... Mais Tifinagh est toujours ignorée.

L’expérience en soi est on ne peut plus louable, mais encore faudra-il la faire évoluer en imprimant les logos et slogans en Tifinagh. Nos agences de publicité peuvent s’inspirer de l’expérience asiatique : les japonais ainsi que leurs voisins exhibent fièrement leurs propres alphabets, idéogrammes, calligrammes en les collant harmonieusement aux marchandises autant locales qu’internationales. En les imitant, les agences locales de pub ajouteront un plus à leur professionnalisme : qui donc interdit d’ « apprivoiser » le consommateur amazigh en s’adressant à lui en Amazigue, en Tifinagh...

Elles seront encore plus motivées si les responsables locaux du marketing suivent l’exemple de leurs collègues asiatiques en donnant aux produits typiquement marocains des noms amazighs écrits en Tifinagh, des noms évoquant nos sites, nos héros, nos totems symboliques....ou du moins transcrire les noms des marques internationales en Tifinagh même à coté de l’arabe et du latin : la mondialisation en est pour quelque chose !...

Il serait en effet inconcevable voire même insensé de donner des noms sans référent réel, des noms qui ne sonnent pas le local à des produits fabriqués par des imazighens, par une matière première puisée dans l’Atlas, le Rif ou le Souss... Appelons « pain » : « pain » et puisque nous parlons l’Amazighe, appelons-le : « aghrum ». Cela ne brave pas la morale ! cela fait beau ! cela fait vendre !
Nous n’allons cependant pas apprendre leur métier à nos professionnels de pub et de marketing, mais eux qui cherchent à s’inspirer de tout et par tout, peuvent reconsidérer la polysémie de Tifinagh : la nouveauté (due au statut officiel récent), l’authenticité, l’histoire, l’esthétique, l’exotisme et la couleur locale , n’est-ce pas là les mots-clé véhiculés par certaines pub ?....Pourquoi pas la nôtre ?
La presse, la publicité et le marketing ne sont toutefois pas les seuls concernés pour le rayonnement de Tifinagh, nous pensons impliquer aussi les collectivités locales élues avec leurs partenaires. A moins que cela ne soit un tabou, elles sont également invitées à jouer un rôle qui est proprement le leur : inonder le paysage iconographique de nos rues de Tifinagh...Pour le faire, il suffit de penser aux enseignes, écriteaux, pancartes, plaques, affiches, panneaux de signalisations, tracts, etc...Cela traduira fidèlement la réalité linguistique plurielle du Maroc.

En attendant que nos politiciens se décident concrètement à soutenir cette noble action, nous nous contenterons pour le moment d’inviter les artisans du mot amazigh de bien vouloir continuer à voyager dans leurs cosmos idyllique, épique, romanesque, fictif, picaresque, lyrique, merveilleux, fantastique, esthétique..., mais en transcrivant le tout en Tifinagh... En attendons encore une fois les autres, travaillons...

Bouziane Moussaou , Le Matin

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