Les islamistes contre la culture

14 février 2003 - 11h17 - Maroc - Ecrit par :

En septembre 2002, les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), une formation surtout caractérisée par son conservatisme social, faisaient leur entrée en force au Parlement marocain, avec 42 députés. Ils font preuve aujourd’hui d’un activisme tous azimuts au nom des « valeurs et traditions arabo-musulmanes ». Et, depuis quelques semaines, ils ont fait de la culture leur terrain de bataille préféré.

Le climat actuel exacerbe la sensibilité identitaire

Première cible : le cinéaste Nabil Ayouch et son film Une minute de soleil en moins. Commandé par la chaîne franco-allemande Arte, le film n’est toujours pas sorti en salles au Maroc, faute d’avoir obtenu un visa de la commission de censure. Mais il avait bénéficié d’une subvention. C’est cette aide, accordée à une œuvre jugée « pornographique » - il y a en effet quelques scènes hard dans le film - qui est dénoncée aujourd’hui par le PJD. Certains députés, dont Mustafa Ramid, l’un des dirigeants du parti, véhiculent en outre des attaques personnelles contre Nabil Ayouch. « J’assume ma double culture. Elle est fondatrice de ce que je suis et de mon travail », rétorque le jeune cinéaste, qui juge « grave, dangereuse et ridicule » la campagne dont son film est l’objet. Nabil Ayouch déplore aussi la « mollesse » de la réaction de la classe politique marocaine. La plupart des partis politiques, en effet, ont évité de réagir, à la fois par indifférence et parce que certains d’entre eux considèrent sans le dire que le cinéaste est cette fois allé un peu loin. Le débat a surtout eu lieu dans la presse, avec en particulier un soutien à Nabil Ayouch, au nom de la liberté d’expression, de la part des journaux proches de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et de la presse non officielle. Le cinéaste a choisi, pour l’heure, de montrer son film dans le cadre de séances privées. Tout en regrettant que les hommes politiques n’aient pas saisi cette occasion pour engager un débat de fond avec les islamistes. Membre de l’USFP et secrétaire d’Etat chargé de la Jeunesse, Mohamed El-Gahs est l’un des rares qui ait tenté de le faire. Sa prestation sur un plateau de télévision lui vaudra d’être accusé par le journal Al-Tajdid, organe du PJD, d’appartenir à une « cinquième colonne francophone et sioniste » ...

Le film de Nabil Ayouch n’est pas la seule cible des islamistes du PJD. Il s’en prennent aussi à la décision récente de traduire en langue amazigh Le Pain nu, un livre à succès de Mohamed Choukri sorti dans les années 1980, dont certains passages mettent en scène des homosexuels. Ils dénoncent par ailleurs l’activité des centres culturels étrangers. L’une des députées du PJD, Fatima Ben El-Hassan, a ainsi récemment accusé ces établissements de véhiculer « des valeurs de débauche et de dérive ». Tandis qu’un autre parlementaire islamiste, Al-Moqri’e Abou Zaïd, se lançait, de son côté, dans une violente diatribe contre « la soumission à un néocolonialisme francophone et le déracinement culturel des jeunes Marocains qui fréquentent les centres et les missions d’enseignement étrangers au Maroc ».

Aujourd’hui, le PJD a mis un bémol à ces critiques. Il faut dire que, sur ce volet-là, le gouvernement avait réagi avec plus de fermeté en rappelant son attachement à « la poursuite et la diversification » de la présence culturelle étrangère. De même, les forces de l’ordre sont intervenues, le 31 janvier dernier, pour réprimer une manifestation qui visait à empêcher la tenue d’un spectacle de l’humoriste français Laurent Gerra. Dans ce cas précis, le PDJ s’était associé à une marche organisée par une association de soutien au peuple palestinien, qui entendait ainsi dénoncer les positions pro-israéliennes de Laurent Gerra. Plusieurs de ses militants ont été interpellés.

Cette affaire est significative de la stratégie du PJD. Le climat actuel - menaces de guerre contre l’Irak, répression contre les Palestiniens dans les territoires occupés - exacerbe la sensibilité identitaire, au Maroc comme dans d’autres pays arabes. C’est sur cette vague que ce parti tente de surfer.

Sourec : L’Express

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Cinéma - Religion - Nabil Ayouch - Elections - Parti de la Justice et du Développement (PJD) - Mustapha Ramid

Ces articles devraient vous intéresser :

Aïd al-Fitr au Maroc : les salons de coiffure pris d’assaut

Au Maroc, les salons de coiffure retrouvent une affluence en cette période de fin de ramadan. Les Marocains célèbrent l’Aïd El Fitr ce mercredi 10 avril.

Gad Elmaleh : à combien s’élève sa fortune ?

Gad Elmaleh, 52 ans, est un humoriste et acteur maroco-canadien, actif depuis plus de 25 ans. Il est surtout connu en France pour ses spectacles de stand-up. À combien s’élève la fortune de l’ex-compagnon de Charlotte Casiraghi ?

Voici la date de l’Aïd al-Adha 2024 au Maroc

Quelques jours après la célébration de l’Aïd El Fitr marquant la fin du mois de ramadan, les musulmans sont fixés sur la date de l’Aïd al-Adha.

Voici la date de l’Aïd al-Adha 2023 au Maroc

Les calculs astronomiques indiquent que la fête de l’Aïd al-Adha 2023 sera célébrée au Maroc cet été. Quelle date retenir ?

Tournages de films au Maroc : chiffre d’affaires record pour le CCM en 2022

Très sollicité pour les tournages étrangers, le Maroc devrait renouer avec les bénéfices cette année. De nombreuses productions annulées en raison de la crise sanitaire et des mesures restrictives, sont de retour, selon le centre cinématographique...

Abdelkader Amara claque la porte du PJD, voici pourquoi

Abdelkader Amara n’est plus membre du parti de la justice et du développement (PJD). Lundi, l’ancien ministre de l’Équipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau a annoncé sa démission du parti islamiste après une réflexion sur ce que...

Ramadan et grossesse : jeûner ou pas, la question se pose

Faut-il jeûner pendant le Ramadan quand on est enceinte ? Cette question taraude l’esprit de nombreuses femmes enceintes à l’approche du mois sacré. Témoignages et éclairages pour mieux appréhender cette question à la fois religieuse et médicale.

Nicole Kidman dans l’adaptation du livre « Chanson douce » de Leïla Slimani

Un thriller basé sur le roman de l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani, intitulé La nounou parfaite (chanson douce, titre original) devrait être produit par l’actrice et réalisatrice australo-américaine Nicole Kidman. HBO développera La nounou...

Le stade de Chelsea accueille un « Open Iftar »

Après l’équipe de Blackburn, un club de D2 anglaise, qui avait ouvert ses portes en 2022, pour accueillir la prière de l’Aid Al Fitr pendant le ramadan, c’est au tour de Chelsea, le club de l’international marocain Hakim Ziyech, d’offrir une...

Le film « Zanka Contact » contraint de supprimer une chanson d’une pro-Polisario

Suite à l’interdiction de diffusion « au niveau national et international » du film Zanka Contact, les producteurs se sont pliés aux exigences de l’organe régulateur, annonçant la suppression de la musique à polémique.