A Kariane Zaraba, l’un des nombreux bronx marocains qui se trouvent dans le périmètre périurbain avoisinant le quartier de Sidi Bernoussi, nous avons observé les enfants, garçons et filles, jouer. Ces petits n’ont comme aire de jeu qu’un espace empli de saletés de tous genres. Ils ont de la poussière plein les yeux et traînent les pieds dans les immondices sans prendre garde. Des garçons bottent des bouteilles vides pour jouer au foot. Des filles sautillent pieds nus sur un fil élastique alors que l’on voit d’autres se diriger vers les robinets publics remplir des bidons jaunes. D’autres enfants se chamaillent pour s’amuser puis lancent sans le moindre effroi une périlleuse partie de jets de pierres. Garçons et filles semblent heureux en étant ténus et mal vêtus. Aux moindres gestes et paroles, ils rient aux éclats. Tous sont encore à l’âge de l’innocence et de l’insouciance. Derrière eux, en toile de fond, la misère crie son nom sur les baraquements qui leur servent de gîtes. Par endroits, des adultes, assis devant leurs maisonnettes de fortune, suivent les passants de leurs regards inquisiteurs. Ils doivent avoir fui la chaleur de leurs intérieurs. Parce que, comme nous l’expliquera plus tard l’une des habitantes, quand il fait chaud, les barques deviennent des bains maures. Et, quand il fait froid et qu’il pleuve, elles deviennent des cachots humides et suintants.
Après avoir fait quelques pas, on a vu un jeune gronder un enfant. Il l’insulte d’un langage violent et vulgaire. Mais, l’enfant ne prête aucune attention à ces réprimandes. Celui qui l’interpelle doit être son frère puisqu’il le somme de rentrer, en vain.
Aux bruits des enfants, se mêle celui que produisent à leur passage des charrettes tirées par des êtres ou par des ânes. Des vaches meuglent aussi, par moments, comme pour rappeler leur présence. Ils broutent des ordures au milieu d’un vaste champ de sacs en plastic.
Dans cet univers à part et totalement méconnu du Maroc officiel, on retrouve des décors semblables à ceux qui furent plantés par Zola dans son Germinal. Mais, à Kariane Zaraba, il n’y a pas que des enfants qui s’amusent. La misère a fait de quelques uns de leurs aînés des ivrognes, des délinquants, des intégristes en puissance, des criminels, des “sniffeurs ” de colle de rustine, des “chemkaras”, des dealers… En somme, des citoyens marginalisés qui deviennent violents contre eux-mêmes ou contre les autres, après avoir été les victimes d’une innommable violence de la vie.
Si rien n’est fait pour améliorer les conditions de vie et d’habitation de la population oubliée et laissé pour compte des bidonvilles, on ne sait point à quel degré finirait cette spirale de la violence dont l’un des corollaires pourrait être l’intégrisme assassin…
Ballade au cœur de kariane Zaraba
Zaraba
Zaraba est un bidonville qui existe depuis une trentaine d’années. Des adultes avec qui on a discuté se souviennent uniquement avoir grandi là sans pouvoir préciser depuis quand. Ils affirment par ailleurs que ce bidonville a pris ce nom parce qu’il se situe à côté d’une usine qui s’appelait Zaraba et qui broyait des pierres. Ce nom, comme le croyait certains, n’a rien à voir avec “ Zriba ” qui signifie écurie.
A la place de l’usine il n’y a maintenant que des résidences qui entourent le bidonville. Seule, Brasserie du Maroc a conservé son terrain sur lequel est bâtie l’usine qui tourne le dos à Zaraba. Brasserie du Maroc jouxte un chemin étroit et goudronné -dépourvu de nom- qui mène vers Zaraba et vers d’autres bidonvilles.
Bric-à-brac
Pour se protéger contre les incendies qui a ravagé des dizaines de fois leurs barques, une grande partie des habitants a remplacé le “ kazdir ” par des briques. Mais cela ne change pas pour autant le bric-à-brac qui caractérise la construction des bidonvilles.
Au boulot !
A Zaraba, les habitants travaillent surtout le matin dans la vente ambulante des légumes dans les quartiers et souks voisins. Ils étalent leurs marchandises sur des “ krarès ” (charrettes). Certains d’entre eux s’occupent à assurer le transport des “ Khadaras ” (vendeurs de légumes) du marché de gros à bord de taxi-mots (Honda) ou par à bord de charrettes que tirent des chevaux en fin de carrière.
La maçonnerie ou le travail en tant que journalier dans les usines d’à côté notamment à Brasserie du Maroc, sont également citées parmi les occupations des habitants de Zaraba.
Dans certaines baraques, des vieux ont transformé une de leurs pièces en petites épiceries sans porte et dotées uniquement de petites fenêtres permettant juste aux vendeurs de remettre aux clients (les voisins en général) la marchandise demandée.
On est où là ?
Pour rendre visite à un habitant de Zaraba, il faut s’engouffrer dans des ruelles sombres, un labyrinthe de ruelles escarpées où tout étranger qui n’a pas d’accompagnateurs risque de se fourvoyer. Ces ruelles fort étroites sont en plus encombrés par le linge exposé au soleil.
Les habitants, comme le facteur et le moqadem, reconnaissent les différentes ruelles qui, nous a-t-on expliqué- constituent chacune un “bloc” portant un numéro spécifique. Mais, les habitants ont trouvé une autre astuce pour différencier les ruelles. C’est ainsi qu’on entend parler de “ zankat moul fakhar ” (rue du charbonnier)…
Une ribambelle d’enfants
A Zaraba il y a des enfants un peu partout. Les habitants avec qui on a discuté parlent d’une moyenne de 5 enfants par foyer. “ Ceux, disent-ils, qui ont quatre filles continuent à avoir des enfants pour avoir un garçon et ceux qui ont des garçons veulent avoir à tout prix des filles. Bien sûr il y a ceux qui veulent avoir autant d’enfant avec la première femme qu’avec la deuxième ”. Ceci s’explique aussi par le fait que dans un même foyer, l’on peut trouver souvent deux à trois familles : le grand-père, ses enfants mariés et les petits-enfants.
Malheureusement, ces enfants n’ont pas de lieux appropriés où ils peuvent jouer. C’est ainsi qu’on les aperçoit entrain de se distraire dans la boue près de “ Laâouina ” (fontaine) ou dans la poussière qui ne manque pas. Mais le pire c’est de les voir jouer dans les ordures sous les yeux insoucieux de leur parent. “ Comme ça, ces gosses peuvent très tôt acquérir l’immunité contre les maladies qui frappent quotidiennement les fils à papa qui sont aussi sensibles que “djaj roumi”, nous a commenté un jeune.
Vue de l’intérieur
Mais ceux qui n’aiment pas les enfants ne peuvent sentir le plaisir qu’ils éprouvent à être dans une bicoque en train de jouer sans craindre de faire salir le parterre ou les murs…
C’est ce qu’on a pu constater à l’intérieur d’une baraque. Là, à défaut de fenêtres, on laisse la porte ouverte en permanence afin de permettre l’aération des lieux. Le peu d’espace qui existe abrite un tas de gens. “La chaleur à l’intérieur, en ce mois de ce septembre est accentué par le kazdir qui rend la demeure pareille à un hammam”, comme Khadija, l’une des habitantes qui a bien voulu nous recevoir chez elle.
Les voisins entrent et sortent à leur aise. L’intimité n’a pas de place. “Ici, les gens se considèrent comme des frères rejetés par le reste de la société”, ajoute notre hôte. “C’est la foi qui leur rend de l’espoir et fait en sorte qu’ils ne se suicident pas”, explique un jeune homme avec un regard fougueux. Sur la cloison de la salle qui constitue la chambre des invités, une sourate du Coran montre leur attachement à l’Islam.
La pauvreté est celle de l’esprit
En entrant dans une autre demeure, nous avons été surpris de voir de la faïence et des décors qui contrastent avec la misère ambiante. Nous avons compris qu’il y a des personnes, disposant plus au moins de moyens matériels, qui espèrent acquérir un logement dans le cadre du recasement des bidonvilles. Ils ont attendu deux décennies avant que les autorités, il y a trois mois, les recensent. Par ailleurs, nous a affirmé un habitant : “ la vie est devenue moins difficile qu’auparavant. Nous avons au moins maintenant la possibilité d’aller décemment dans le petit coin. En plus, il y a trois mois, nous avons également bénéficié de l’électricité même si elle est un peu coûteuse pour nous ”.
Salam, barbus !
Nous avons remarqué qu’il y a beaucoup de barbus et de voilées qui habitent dans le bidonville Zaraba. En discutant avec quelques familles nous avons appris qu’il y a des personnes, surtout des femmes, qui réunissaient les habitants pour leur faire apprendre la pratique de la religion. Mais, regrette une femme, “ la famille qui dispensait cet apprentissage, un homme barbu et ses filles, a été interpellée par les autorités. Et depuis, il n’y a plus de “dorouss”.
Sauve qui peut !
Les bidonvilles sont aussi un haut lieu de la criminalité. Le plus petit enfant, comme celui qui nous a si aimablement parlé, ne se gêne pas de raconter les derniers crimes enregistrés dans les environs. A titre d’exemple, Nabil, 11 ans, nous a raconté qu’un gardien des résidences voisines a été dernièrement assassiné par un habitant du quartier. L’assassin a été surpris en train de voler du sable et n’a pas trouvé mieux que de mettre fin à la vie de celui qui l’a surpris. Le même voleur avait arraché à quelqu’un son oreille, rapporte Nabil en souriant…
Des moqadems à l’œuvre
En empruntant une allée qui sépare Zaraba d’une décharge où des vaches broutent des ordures, on a été surpris par une cohorte d’habitants qui entouraient deux hommes. Ces derniers leur distribuaient, nominativement, leurs cartes de vote. En nous voyant, l’un des deux hommes (des moqadems selon un habitant) nous a interpellés en nous demandant si nous étions des agents de la préfecture. On avait beau lui répéter que nous étions des journalistes, il était convaincu que nous étions bel et bien les agents qu’il croit.
Les élections ? Du bluff !
A chacun des habitants que nous avons rencontré, nous avons voulu savoir quelle est sa position vis à vis des législatives. Les réponses avaient cela de comme. Elles en conviennent toutes à l’évidence que ce ne sont pas les issues des élections qui vont changer les choses à Zaraba. D’ailleurs, nous a-t-on à chaque fois rappelé, à chaque élection on rabâche les mêmes propos, sans que rien ne change.
Témoignage :
La dignité humaine bafouée
Pour avoir vécu quelques années de mon enfance dans des bidonvilles, je vais tenter une description sommaire de ce monde de ce monde à part. Peut-être aiderai-je à une meilleure compréhension de cet univers qui en étant souvent ceint de murs de la honte, reste encore entouré de mystères.
Un bidonville est un conglomérat très disparate de baraquements. Ceux-ci naissent souvent dan le secret de la nuit pour être écoulé au su et au vu de tout le monde dans la lumière du jour. Ce serait donc tendancieux que de prétendre qu’il s’agirait de logements clandestins. Par ailleurs, si le prix d’une barque a été pendant longtemps abordable pour les petites bourses et même pour des personnes sans aucune ressource, la vie y est très difficile. De plus, le degré le plus élémentaire de la dignité humaine y est totalement bafoué. Que l’on en juge !
Dire que dans un bidonville, il fait trop chaud l’été et trop froid l’hiver, reviendrait à rappeler un moindre mal. La souffrance des bidonvillois se situe ailleurs. Il faut savoir que pour boire, ces derniers -enfants et adultes- doivent parfois batailler fort pour s’approvisionner en eau potable à partir des “fontaines” collectives. Pour sortir de chez eux, ils ne peuvent pas le faire sans fouler les immondices, la boue, la ####…. Pour respirer, ils se sont habitués aux odeurs nauséabondes de différentes origines et “essences”. Pour s’éclairer la nuit –même à l’heure actuelle où peu de “ karianes” ont eu droit à l’électrification-, ils prennent le risque de transformer les bombonnes de gaz butane en dangereuses ampoules artisanales. Pour déféquer, ils se cachent, au loin, à l’ombre des murs parce que les baraques ne sont souvent dotées que de fosses sceptiques provisoires. Celles-ci reçoivent les eaux usées découlant de lavabos et de toilettes de façade. Périodiquement et malgré toutes les précautions d’usage, ces fosses se remplissent. C’est alors que les bidonvillois se mettent en famille à l’œuvre pour les vider en profondeur et jeter les déchets liquides puisés dans des terrains vagues. Et, pour ne pas indisposer les voisins, l’évacuation se fait à une heure très tardive de la nuit.
Ces peines s’aggravent quand on doit souffrir psychologiquement le martyr en portant la blessure de n’être qu’un “ould el kariane”, autrement dit : un Marocain de seconde zone.
Il faut avouer que si un Bill Gates avait vécu dans pareilles conditions, il aurait eu de fortes chances pour n’être ni plus ni moins qu’un “chemkar”. Bien entendu, des jeunes issus de ces milieux défavorisés ont pu s’en sortir et réussir dans leur vie. En revanche, nombreux sont ceux que l’esprit du “karianisme” a écrasé. Ces victimes voulaient se venger d’une société qui les a rejetés, mais ils n’ont fait que se venger d’eux-mêmes en s’enfermant dans le cercle vicieux de la drogue, de la délinquance et de l’inconscience. Certes, ils ont eu tort de le faire, mais sont-ils les seuls à blâmer ?
Par : B. Mokhliss et M. Zainabi Pour le Reporter