Au Canada, les nouvelles règles fédérales sur les travailleurs étrangers temporaires frappent durement l’industrie touristique en région. Des employeurs se trouvent contraints de se séparer d’une main-d’œuvre qualifiée et bien intégrée, qu’ils ont fait venir à leurs frais, notamment du Maroc, et former en français.
Jean-François Côté ne décolère pas. Ce propriétaire d’hôtels établis dans plusieurs régions du Québec, de Victoriaville à Rouyn-Noranda, en passant par Lévis et Drummondville, doit se séparer de deux employés colombiens qu’il a recrutés et francisés à grands frais. « Au Québec, les gens ne veulent pas ramasser de fraises ni nettoyer des chambres », confie-t-il au Journal de Québec. Sans ces travailleurs temporaires, il ne pourra plus louer toutes ses chambres. « Je ne suis pas capable de les remplacer », ajoute-t-il. L’homme a pourtant investi 10 000 $ par personne en billets d’avion et en formation linguistique. Ses travailleurs sont bien payés : ils ne perçoivent pas moins de 19 $ de l’heure, avec assurances collectives et possibilités d’avancement. Certains d’entre eux, qui s’expriment désormais bien en français, occupent des postes à la réception.
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Pour Jean-François Côté, l’intégration en région se fait beaucoup plus vite qu’en ville. « Si vous voulez vivre en Abitibi-Témiscamingue, vous allez devoir apprendre le français parce qu’en anglais, vous ne vivrez pas. Je me sépare donc d’une main-d’œuvre qui a été formée, qualifiée et qui est super bien intégrée, francisée ! », déplore l’hôtelier. La nouvelle politique du gouvernement fédéral, qui réduit de 30 % à 10 % la proportion de travailleurs étrangers temporaires permis en région, suscite la colère des professionnels du secteur. « Ça coupe les jambes complètement aux entreprises touristiques. Le fédéral est complètement déconnecté de l’industrie touristique des régions du Québec », peste Geneviève Cantin, PDG de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec.
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Le tourisme québécois représente pourtant un secteur économique majeur qui génère 4,3 milliards de devises étrangères par année. Mais sans personnel qualifié, impossible d’offrir un service à la hauteur, insiste Geneviève Cantin. « On vend du rêve. La personne qui vient ici, puis qui n’a pas de services, c’est pas bon. » Dans ce domaine, l’intelligence artificielle (IA) ne peut pas remplacer l’humain. Si la main-d’œuvre manque, le tourisme ne peut plus jouer son rôle de moteur économique en région, prévient-elle.
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Croisières AML subit la même situation. L’entreprise, qui opère 25 navires sur le Saint-Laurent et le fjord du Saguenay, a recruté à ses frais une quinzaine de travailleurs étrangers, notamment des Marocains et des Français, pour des postes d’officiers de navigation, de mécaniciens, de serveurs et de cuisiniers. Leurs permis arrivent bientôt à échéance et la perspective de les perdre inquiète, car la main-d’œuvre spécialisée en navigation se fait rare. « On va être obligé de restreindre certains services. Il va falloir qu’on repense à notre façon de travailler parce que ce sont des gens qui sont, pour nous, importants », se désole Myriam Tremblay, directrice générale adjointe aux opérations de Croisières AML.