Roqya au Maroc : Enquête sur des abus sexuels au nom de l’exorcisme

9 août 2023 - 11h00 - Maroc - Ecrit par : S.A

Des Marocaines racontent le calvaire qu’elles ont vécu lors des séances de roqya, exorcisme destiné à chasser les djinns, qui finissent souvent par des abus sexuels et du harcèlement. Enquête.

La BBC Arabic a recueilli les témoignages de 85 femmes, sur une période de plus d’un an, qui ont suivi des séances de roqya auprès de 65 “raqi” au Maroc et au Soudan – deux pays où ces pratiques sont particulièrement populaires. L’une d’elle se prénomme Dalal (prénom d’emprunt). Elle raconte avoir consulté un raqi dans une ville proche de Casablanca il y a quelques années pour soigner une dépression. D’après son témoignage, le raqi lui a dit que la dépression était causée par un « amant djinn » qui l’avait possédée. Lors d’une séance individuelle, il lui a demandé de sentir un parfum qu’il a qualifié de musc. Aujourd’hui, elle estime qu’il s’agissait d’une sorte de drogue, car elle a perdu connaissance.

À lire : Maroc : un célèbre imam en prison pour crimes sexuels

À son réveil, celle qui n’avait jamais eu de relations sexuelles auparavant dit avoir découvert qu’on lui avait enlevé ses sous-vêtements et qu’elle s’est rendu compte qu’elle avait été violée. Elle dit avoir demandé au raqi ce qu’il lui avait fait. « J’ai dit : ‘Honte à toi ! Pourquoi m’as-tu fait ça ? Il m’a répondu : ‘Pour que les djinns quittent ton corps’ ». Convaincue qu’elle serait blâmée, elle n’a raconté à personne sa mésaventure. Quelques semaines plus tard, elle tombe enceinte. L’idée de se suicider lui traverse l’esprit. Elle y renonce. Lorsque Dalal a parlé de sa grossesse au raqi, celui-ci a nié. Une expérience traumatisante pour la jeune femme qui a fait adopter son enfant après sa naissance.

À lire :Le raqi 2.0 a fait des victimes au Maroc et dans des pays arabes

Comme Dalal, beaucoup de femmes marocaines et soudanaises ont vécu des expériences traumatisantes. Au Soudan, nombreuses sont les femmes qui ont consulté le cheikh Ibrahim. Trois des 50 femmes qui ont livré leur témoignage l’ont accusé d’abus sexuels et de maltraitance. Des accusations qu’il a niées. Mais une journaliste de la BBC se faisant appeler Reem s’est fait passer pour une cliente souffrant d’infertilité et a pu recueillir davantage de preuves. Le cheikh Ibrahim lui a dit qu’il ferait une prière pour elle et lui a préparé une bouteille d’«  eau de guérison » – connue sous le nom de “mahayya” – qu’elle devait emporter chez elle et boire. Reem raconte qu’il s’est ensuite assis très près d’elle et a posé sa main sur son ventre.

À lire :La Roqia char’iya au Maroc : entre violences physiques et abus sexuels

Lorsque la journaliste lui a demandé de retirer sa main, il l’a simplement descendue le long de son corps, sur ses vêtements, jusqu’à ses parties intimes. Elle a dit avoir quitté la pièce en courant. « Il m’a vraiment ébranlée », a confié Reem. Interrogé par la BBC sur ce qui était arrivé à Reem, le cheikh Ibrahim a nié avoir harcelé ou agressé sexuellement des femmes qui cherchaient son aide, et a brusquement mis fin à l’entretien.

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Harcèlement sexuel - Soudan - Sexualité

Aller plus loin

France : sorcellerie, arnaques et marabouts

Une Marocaine résidant en France raconte l’enfer qu’elle a vécu en consultant de bons, sérieux et bienveillants marabouts mais aussi des mauvais, des chers, des farfelus,...

Maroc : les sorciers font leur révolution

Au Maroc, les marabouts et les sorciers allient tradition et modernité. Facebook, Instagram et d’autres réseaux sociaux sont devenus leur nouvel espace de travail où ils offrent...

Maroc : prison ferme pour le "sorcier" escroc

La Cour d’appel de Ouarzazate a confirmé la condamnation d’un homme de quarante ans à deux ans de prison ferme et quatre mille dirhams d’amende pour pratique illégale de la...

Le raqi 2.0 a fait des victimes au Maroc et dans des pays arabes

Les services de police judiciaire de la ville de Guelmim ont mis la main, mercredi dernier, sur un faux guérisseur, pour son implication présumée dans plusieurs affaires de...

Ces articles devraient vous intéresser :

Le Maroc confronté à la réalité des violences sexuelles

Les femmes marocaines continuent de subir en silence des violences sexuelles. Le sujet est presque tabou au Maroc, mais la parole se libère de plus en plus.

Maroc : de "paradis gay" à destination à risque pour les LGBTQ+ ?

Le Maroc est passé de « pays gay-friendly » à destination touristique moins sûre pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Il y existe toutefois une sorte de tolérance.

La chanteuse Ibtissam Tiskat dévoile son calvaire

La chanteuse marocaine Ibtissam Tiskat affirme avoir été victime de harcèlement de la part d’une collègue. Il s’agirait de Dounia Batma ou Fadwa El Maliki.

Maroc : les sites pour adultes cartonnent pendant le ramadan

Les Marocains sont friands des sites pour adultes pendant ce mois de ramadan. À quel moment visitent-ils ces sites ?

La chanteuse Mariem Hussein au cœur d’une nouvelle polémique

Des internautes marocains se sont indignés des propos de la chanteuse et actrice marocaine Mariem Hussein sur l’éducation sexuelle.