Homme/femme : mode d′emploi

17 octobre 2003 - 23h36 - Maroc - Ecrit par :

Le nouveau Code de la famille régit quatre grandes périodes de la vie conjugale : avant le mariage, le mariage, le divorce et ses suites. Nous les avons décortiquées pour mieux cerner les réelles avancées mais aussi les lacunes des propositions de la commission.

Avant le mariage âge du mariage, égalité sans concession

C′en est donc fini de ces mariages où l′on voyait arriver devant l′adoul une jeune mariée à peine pubère. Du moins devraient-ils constituer l′exception. En effet, l′âge légal du mariage qui était de 15 ans jusqu′alors pour les filles, vient d′être fixé à 18 ans, consacrant ainsi l′égalité entre sexes. Cette mesure, demandée depuis longtemps par les associations féminines, entre également dans le cadre d′une harmonisation du corpus législatif puisque le nouveau code pénal vient d′instituer la majorité à 18 ans (au lieu de 16 dans l′ancien texte).
Dorénavant, un père désirant marier sa fille avant 18 ans, devra en formuler la demande auprès du juge du tribunal familial et justifier la nécessité de cette union. C′est pourquoi, il serait souhaitable que le législateur, à défaut de pouvoir préciser les cas autorisant de telles "exceptions", donne des exemples, et ce, afin de réduire au minimum, la libre appréciation du juge.

Quand les femmes deviennent majeures !

Révolution d′entre les révolutions, la fin de la tutelle (wilaya), fixée par l′article 24 du projet de loi, consacre l′entrée de la femme dans le monde des adultes. Majeure, cette citoyenne à 100%, jouira désormais d′une identité pleine et entière. Mieux, la "wilaya" est dorénavant considérée comme un de ses droits. A ce titre, elle pourra, dès sa majorité, être maîtresse de ses choix, exercer sa propre volonté et son libre consentement. En clair, plus aucune soumission à un quelconque "mâle" de la famille, plus personne pour l′obliger à prendre un tel ou un tel pour époux si elle n′en veut pas, ou inversement, elle pourra contracter un mariage même si son père refuse. Corollaire de cette majorité arrachée de haute lutte, plus besoin de la signature du père ou, si elle est orpheline, de son frère ou de son oncle pour se marier. Certes, les mentalités seront longues à évoluer, certaines familles risquent de vivre d′âpres batailles internes, mais tel est le prix de la liberté. Quoiqu′il en soit, les femmes auront désormais la force de la loi pour elles. Bienvenue dans le monde des adultes !

Le mariage

Contracté devant le juge du tribunal familial, et non plus devant l′adoul - ce dernier se voyant reléguer au rang de simple "rédacteur" - le mariage entame une véritable mue.

Les amateurs de sémantique apprécieront. Grâce à quelques petits mots, les rédacteurs de la réforme viennent d′introduire une autre révolution culturelle. Jusqu′à présent, le mariage était défini comme "un contrat légal par lequel un homme et une femme s′unissent en vue d′une vie conjugale commune et durable", placée "sous la direction du mari" . Dorénavant, la formule proposée parle d′"un contrat légal par lequel un homme et une femme consentent à s′unir en vue d′une vie conjugale commune et durable" et ce, "sous la direction des deux époux".

Chacun - et surtout chacune -, appréciera le changement de formule, lourd de conséquences puisqu′il institue de fait, une égalité de droits et de devoirs entre conjoints. Qu′est-ce à dire ?

des Droits et des devoirs, pour l′un comme pour l′autre

C′en est fini de la notion "d′obéissance de l′épouse au mari". La notion d′autorité ou de soumission tombe. Si cette avancée indéniable est un corollaire de l′abolition de la tutelle dans le mariage, elle bouleverse tout autant l′ordre établi. Dorénavant, la femme a droit à la parole, d′être informée des décisions engageant le couple ou les enfants. Elle a le pouvoir d′autoriser ou pas. Autant dire que nous touchons là un changement complet du rapport de force au sein du couple.
Conséquence immédiate de cette nouvelle philosophie égalitaire, la suppression du devoir de "prise en charge" pour l′époux (l′épouse ne pourra plus invoquer cette raison comme motif de divorce, cf "divorce"). On parle dorénavant de "responsabilité mutuelle".

Deux chefs pour une même famille

Le projet de loi consacre la disparition de la notion de chef de famille. Les deux conjoints sont dorénavant responsables, au même titre. Ainsi, la bonne marche du foyer, tout comme l′éducation des enfants, incomberont à M. et Mme. Ainsi, la concertation remplacera le bon vieux diktat masculin en ce qui concerne la gestion des affaires familiales, des enfants ou des questions touchant à la succession. Apprenez également messieurs, que si jusqu′alors, seule votre épouse avait un devoir de "déférence" vis-à-vis de vos parents, la réciprocité nouvellement instituée, vous oblige à la même considération pour vos beaux-parents. "Faire contre mauvaise fortune, bon cœur" risque d′être le nouveau proverbe à la mode dans nombre de foyers. Trêve d′humour, la responsabilité mutuelle est chose sérieuse. Puisqu′en effet, cette responsabilité partagée risque d′introduire de profonds changements dans vos relations avec l′administration ou toute autre institution privée.

A titre d′exemple, lorsque vous, mesdames, ouvriez un compte bancaire pour vos enfants, que vous l′alimentiez régulièrement, l′autorisation de votre chère moitié était obligatoire pour effectuer le moindre retrait. Ce temps devrait être révolu si le texte est voté en l′état. Idem pour bénéficier des remboursements maladie en cas de divorce. Imaginons que votre enfant ait un accident nécessitant le paiement de frais médicaux. Jusqu′alors, et même si vous, madame, aviez effectué les versements, les remboursements atterrissaient sur le compte de votre ex-époux… puisqu′il était le seul tuteur. Si le texte n′est pas clair sur la question des déplacements des enfants à l′étranger, la logique voudrait que ces changements introduits s′appliquent à tous les aspects de la vie commune.

Du partage des biens

Autre nouveauté du projet de loi, l′institution du régime de la communauté pour les biens acquis pendant le mariage. Certes, le principe de la séparation des biens est consacré mais pour la première fois, le rédacteur a introduit la possibilité pour les époux de se mettre d′accord, dans un document séparé de l′acte de mariage, sur la répartition des biens acquis au cours de leur union. Premier petit souci, le fait d′avoir un acte séparé. Certains auraient préféré que cette question soit directement incluse dans la loi - comme le prévoyait d′ailleurs le fameux plan d′intégration - Ce qui avait l′avantage de ne pas soumettre la femme à quelque pression que ce soit et de réduire la marge de manœuvre des adouls.

Mais bon… disons que c′est déjà un premier pas. Le but de cet acte séparé est de "définir un cadre pour la gestion et la fructification des biens acquis durant le mariage". Ainsi, pour la première fois, une femme pourra récupérer, en cas de divorce, les biens qu′elle aura achetés. Tout le problème sera de prouver qui a acheté quoi. Or, l′avant-projet évoque, en l′absence d′accord, le fait de recourir pour le juge "aux moyens généraux de preuve, tout en prenant en considération le travail de chacun des époux et les efforts qu′il a accomplis en vue du développement des biens de la famille". Mais qu′est-ce que cela signifie ? A titre d′exemple, le juge considèrera- t-il le travail de la femme au foyer comme une contribution à l′enrichissement du couple ? Rien n′est moins sûr, puisqu′en parlant de "moyens généraux de preuve", il est ici clairement fait référence au Dahir des Obligations et Contrats (DOC). Or, ce dernier ne parle pas de "contribution morale" mais seulement matérielle. La règle étant qu′un justificatif, une facture ou un témoin doit être produit pour chaque somme supérieure à 150 DH. Ainsi, tout reposerait sur la bonne volonté de monsieur à mettre au nom de madame certains biens acquis, pour que celle-ci, dans le cas où elle n′a pas de ressources propres, puisse les garder après le divorce. Gageons qu′ils seront nombreux à y penser spontanément. Quant à demander clairement une facture en son nom, gageons également, qu′elles seront nombreuses à le faire.

Pourtant, quand une femme éduque les enfants, fait les courses, le ménage, elle ne demande pas de salaire en contre-partie. Mais est-il pour autant aberrant de penser qu′elle contribue à sa manière à l′enrichissement du foyer ? Alors ?

Alors, il serait judicieux que le législateur introduise en toute lettre cette notion de "contribution morale" ou "naturelle" afin d′éviter de vider de sa substance cette avancée. D′ailleurs, dans certaines tribus amazigh du Souss, cette "contribution naturelle" est depuis longtemps introduite dans la pratique sociale. Des avocats ont plaidé à Rabat et à Agadir, en s′appuyant sur ces pratiques sociales pour les faire entrer dans le droit positif. Aujourd′hui, il existe une douzaine de cas de jurisprudence. Espérons qu′elles influenceront nos députés !

La polygamie toujours de mise

Interdite ou pas ? En fait, ni l′un ni l′autre. Disons que cette atteinte flagrante à la dignité de la femme va se trouver soumise à des conditions draconiennes telles, que sa pratique en sera rendue difficile. Tout d′abord et dans tous les cas de figure, le polygame devra en demander l′autorisation au juge des Affaires familiales. Autorisation qui lui sera donnée s′il arrive à prouver la nécessité qu′il a de prendre une seconde épouse ou si le juge établit qu′il a les moyens d′entretenir les deux épouses, et donc de garantir à chacune tous ses droits, dont l′égalité de traitement, la pension alimentaire et le logement.

Toutefois et quitte à maintenir une horreur pareille, il serait judicieux que le législateur décline un seuil minimal de "vie décente", réactualisé chaque année en fonction du coût de la vie et ce, afin que les deux foyers ne se retrouvent pas dans des conditions "égales"de misère.
La polygamie est également interdite si le mari s′est engagé, lors du mariage, à ne pas le faire. Ces conditions précitées visent donc à mettre un sérieux frein à une pratique, déjà tombée en désuétude. Sauf que, en l′état actuel des choses, le projet de loi n′apportant aucune précision quant aux moyens donnés au juge pour qu′il s′assure qu′il n′y a pas "de présomption d′iniquité", tout repose sur son degré d′appréciation. Alors oui, c′est vrai, l′article 42 stipule que lorsque le mari adresse au juge sa demande, il doit y joindre "une déclaration relative à sa situation matérielle et à ses obligations financières". Mais s′agit-il d′une déclaration sur l′honneur, d′une fiche de paie, d′une déclaration patrimoniale ?

Quoi qu′il en soit, si l′époux indélicat est "exigible" à la polygamie, le juge est tenu de justifier l′autorisation qu′il a accordée. Mauvaise nouvelle pour le sexe faible - qui n′a jamais autant mérité ce surnom - cette décision n′est pas susceptible de recours. Sûrement à titre compensatoire, le projet de loi prévoit d′assortir cette décision de conditions en faveur de la première épouse et de ses enfants. Lesquelles ? On ne sait pas.

Le rédacteur, voulant limiter autant que possible le recours à cette pratique anachronique, a cependant prévu une procédure stricte. Entre autres, la convocation par le juge de la première épouse comme de la future afin de les informer de leurs nouvelles destinées. L′épouse originelle peut alors demander le divorce pour "préjudice subi" et l′obtiendra assorti d′un montant correspondant à ses droits et à ceux de ses enfants.

Le divorce

Dans le projet de réforme, les articles concernant le divorce sont un vrai casse-tête chinois et ont dû donner du fil à retordre aux membres de la Commission chargée de la réforme. Première mauvaise surprise, "la répudiation" n’a pas disparu de la Moudawana sauf que telle qu’elle est évoquée, elle n’est plus un droit exclusif à l’homme : la femme peut également répudier. Cela veut-il dire pour autant, qu’elle peut elle aussi demander à divorcer de son mari, sans avoir à se justifier – ce qui a toujours été l’apanage des hommes- ? Chimère. Quelques articles après l’article 79 où il est stipulé que quiconque veut répudier peut simplement en référer au tribunal, on se rend compte que la répudiation est évoquée quand l’homme décide de se séparer de son épouse et qu’on parle de divorce pour préjudices subis quand c’est la femme qui demande la séparation. Ce qui a toujours été le cas. Le grand changement : les deux époux, en cas de volonté de séparation, auront à se référer à la même instance : le tribunal de famille. Tout cela semble très complexe, et ça l’est. Voyons les cas un par un :

1. Quand l’homme veut divorcer

Il peut quand il veut, et cela s’appelle encore répudiation. Changement notable, ce n’est pas vers un adoul qu’il doit se diriger, mais vers un tribunal et ce sera au juge de donner l’autorisation pour que l’acte de divorce soit consigné par des adouls. Avant de statuer, le juge doit impérativement convoquer l’épouse pour une tentative de réconciliation (article 81 du projet de réforme), mais il n’est à aucun moment mentionné que le mari doit justifier sa demande de répudiation. Si la femme, après sa convocation, ne se présente pas et ne répond pas à la mise en demeure, "il sera statué sur le dossier". Des termes moins crus pour dire : "il est passé outre sa présence au cas où le mari maintient sa décision de répudier", comme cela est formulé dans l’article 48 de l′actuelle Moudawana.

Le changement fondamental n’est en fait pas là. En effet, dans la nouvelle version, l’homme se voit obligé de s’acquitter de "tous les droits dûs" à l’épouse et aux enfants, avant l’enregistrement du divorce, et s’il n’en a pas les moyens, il devra renoncer à la répudiation. Pour résumer, l’homme a toujours le droit d’user - et d’abuser - de son droit de répudiation et le juge n’a pas le pouvoir de l’en dissuader, sauf s’il est dans l’incapacité d’offrir à sa femme, répudiée, un niveau de vie décent. A savoir, s’acquitter de la dot à terme, de la pension du délai de vacuité (idda), du don de consolation, et lui laisser le domicile conjugal, ou à défaut, un logement équivalent. En clair, à en dissuader plus d′un !
Résultat des courses, le projet ne fait pas perdre à l’homme ses privilèges, mais vise plutôt la protection des femmes d’abus éventuels. Financièrement parlant. Et c′est déjà pas mal !

2. Quand la femme veut divorcer

Pour la femme, il n’est toujours pas question de "répudier" son mari - comme ça, sur un coup de tête comme lui peut le faire - sauf si le droit d’option (al isma) a été stipulé sur le contrat de mariage. Pas de grand changement, puisque ce droit-là existe déjà dans l’actuelle Moudawana, que presque aucune femme n’a le courage de le demander à son fiancé et que beaucoup de adouls et de juges ne lui reconnaissent pas ce droit, inscrit sur le contrat de mariage. Donc, si la femme a le droit d’option - ce qui est donc exceptionnel - elle peut elle aussi s’adresser au juge, qui essaiera de réconcilier les deux conjoints. Si la tentative de réconciliation échoue, le tribunal autorise l’épouse à demander la consignation du divorce et statue sur ses droits et ceux de ses enfants stipulés dans l’article 84.

Quels autres recours a l’épouse en cas de volonté de séparation ? Les mêmes qu’avant, et c’est toujours aussi compliqué : pour avoir son divorce, il faut qu’il y ait préjudice. Lequel ? Là aussi, flou total : "Est considéré comme préjudice justifiant le divorce tout acte ou comportement infamant émanant de l’époux ou contraire aux bonnes mœurs portant un dommage matériel ou moral à l’épouse la mettant dans l’impossibilité de continuer la vie conjugale", dit-on dans l’article 94. Le harcèlement moral est-il un "comportement infamant" ? Le viol conjugal ? L’alcoolisme ? La violence ? Rien n’est précisé, d’autant plus que plus loin, et là aussi rien n’a changé, la femme est dans l’obligation de prouver qu’il y a eu préjudice. Sauf que, et il est important de le signaler, la proposition a quand même ouvert une brèche : il est stipulé clairement que dans le cas de l’impossibilité de prouver le tort, l’épouse peut "recourir à la procédure de désunion" (Chiqaq), qui lui permet de ne pas avoir à prouver quoi que ce soit mais de se dire dans l’impossibilité de continuer de vivre avec son mari. Du coup, et toujours selon les propositions, aucun juge ne pourra la forcer à continuer de vivre avec lui. Restera à espérer que le juge soit une perle rare qui ne prétextera pas que pour lui "procédure de désunion" ne veut rien dire.

Dans quels autres cas la femme peut-elle demander le divorce ? En cas de manquement à une des conditions stipulées dans le contrat de mariage par les deux conjoints (la polygamie par exemple. Voir plus haut) et autre nouveauté de taille avancée dans le projet, l’épouse ne peut demander le divorce pour défaut d’entretien que si elle-même est dans l’incapacité financière. Logique, puisque le nouveau texte la consacre définitivement comme un être majeur capable de se prendre en charge elle-même et que de ce fait, elle n’est plus dépendante moralement et financièrement de son mari.

3. Le divorce consensuel

Les concepteurs du projet de réforme ont eu la présence d’esprit d’introduire des articles concernant le divorce consensuel, qui n’existait pas dans la Moudawana qu’ils avaient à corriger. Comme si un homme et une femme ne pouvaient pas décider d’un commun accord de se séparer. Qu’est-ce qui est proposé ? Rien de plus simple : les conjoints ont à se présenter devant un juge et lui faire part de leur volonté de rompre leur union sacrée. Il essaiera alors, pour la forme, de les réconcilier, et si sa tentative ne marche pas, il enregistrera le divorce. Mais - hélas - ce n’est pas tout. Contradiction flagrante dans le projet de réforme, le maintien du divorce "consensuel" moyennant compensation. Ce qui signifie, de ce fait, qu’on continue à reconnaître à l’homme le droit de monnayer la demande de divorce de sa femme.

Quant à elle, elle continuera à payer le prix fort pour sa liberté. Seul changement dans l’histoire : si la femme n’est pas d’accord sur la somme demandé par le mari - qui peut atteindre des millions -, elle peut en référer au tribunal, qui, lui, évaluera la contrepartie du divorce en fonction du montant de la dot, de la durée du mariage, des raisons justifiant la demande du "khol’". Jusque-là, tout va bien. Sauf qu’une fois de plus, si le mari n’est pas d’accord sur la somme proposée par le tribunal, il peut toujours se rétracter, refuser le divorce et continuer de faire chanter sa femme : ou tu payes, ou je ne divorce pas. Le seul recours de la misérable : la fameuse procédure de désunion.

Après le divorce

Sur ce point en particulier, la Commission peut être fière de son travail. Nous l’avons évoqué plus haut, un homme ne peut pas répudier sa femme s’il ne lui a pas accordé ses droits ainsi que ceux de ses enfants. Le nouveau projet appliqué, aucun homme ne pourra plus mettre sa femme et ses enfants à la rue, une fois le divorce prononcé, comme cela a toujours été le cas. Le moins que l’on puisse dire, est que la Moudawana, future ancienne version, a été l’une des origines de bien des drames et bien de fléaux sociaux : enfants des rues, prostitution…

Les membres de la Commission, ont, sur ce coup-là été justes : un habitat décent et correspondant à leur niveau de vie doit être obligatoirement assuré à la mère et à ses enfants avant l’enregistrement du divorce. D’autant plus que cette obligation est distincte de la pension alimentaire. Premier bon point. Deuxième bon point, la commission a décidément tenu à ce que l’intérêt de l’enfant soit pris en considération. Et pour preuve :

• A la séparation de ses parents, l’enfant ayant l’âge de 15 ans révolus, a la possibilité de choisir d’être confié soit à son père soit à sa mère et ce, qu’il soit fille ou garçon. L’ancien législateur, lui, estimait qu’un garçon pouvait prendre cette décision à 12 ans et la fille à 15 : logique qu’il était le seul à comprendre.
• Grande révolution pour les mères divorcées : le projet a retenu pour la femme de conserver la garde de son enfant même après son remariage - sous la Moudawana non revue et corrigée, beaucoup de femmes renonçaient à un deuxième mariage de peur de perdre leurs enfants - ou son déménagement dans une autre localité, au Maroc ou à l’étranger, autre que celle de son mari. Grande victoire ? Certes, mais bémol quand même, puisqu’il y a encore des conditions qui entrent en jeu. En effet, son remariage n’entraîne pas la déchéance de son droit de garde uniquement dans les cas suivants : quand l’enfant a moins de 7 ans, qu’il est atteint d’une maladie ou d’un handicap, et, ça se complique, quand le deuxième mari est à un degré prohibé de parenté.

Exemple, si elle épouse le frère de son premier mari, elle ne perd pas la garde de l’enfant. Décidément, la Commission n’a rien oublié !
Bref, l’enfant a bel et bien été une préoccupation pour les membres de la Commission et elle l’a effectivement traduit dans ses textes, en ajoutant à son projet de Code de la famille des dispositions spécifiques, jusque-là inexistantes. Logique, dès lors que l′on passe d′un Code du statut personnel à un code de la famille ! Elle y a ainsi inséré les dispositions de la convention relative aux droits de l’enfant à laquelle le Maroc a adhéré. A ce titre, les parents ont des devoirs à l’égard de leurs enfants : droit à la vie, à la santé, à l’éducation, à avoir un père (voir encadré La fin des bâtards ?), à l’insertion dans la société quand il est handicapé, etc. Espérons que ça ne reste pas que du bla bla.

Paternité : La fin des bâtards ? Pas si sûr

L′un des points fondamentaux de la proposition de réforme concerne "la reconnaissance de la paternité". En effet, tel qu’il a été présenté dans le discours royal, beaucoup - dont des associations féminines - ont cru, à tort, qu’il concernait toutes les mères célibataires. Faux. Il suffit de lire l’article en question (156) pour se rendre compte que, oui, l’avancée existe bel et bien, mais qu’elle est restrictive et qu’elle ne concerne que les enfants nés de parents fiancés. D’ailleurs, l’article en question est très clair : "si la fiancée donne des signes de grossesse, l’enfant est rattaché au fiancé, pour rapports sexuels par erreur". Etrangement, dans cet article en particulier, les membres de la Commission ont tout fait pour être compris et ont posé des conditions on ne peut plus claires : pour que l’enfant soit rattaché au fiancé, il faut que les familles des fiancés soient au courant des fiançailles de leurs rejetons, qu’il soit établi que la " fauteuse " est tombée enceinte lors de la période des fiançailles et que le "fauteur" reconnaisse avoir semé des grains d’amour dans le ventre de sa promise. Dans le cas contraire, et grande nouveauté, celle-ci peut recourir aux "moyens de preuve légale" pour prouver sa filiation. Donc au test ADN, qui sera donc non seulement reconnu mais demandé par le tribunal. Oui, mais nous le savons pertinemment, on n’attend pas toujours d’être fiancés pour avoir des rapports sexuels, n′en déplaise à certains ! Qu’adviendra-t-il de ces filles et de leurs enfants que l’article semble volontairement oublier ? Qu’adviendra-t-il d’un enfant né d’un viol ? Ils répondront toujours aux mêmes lois archaïques. Elle, au mieux, se retournera vers Solidarité Féminine, au pire, ira en prison pour ne pas avoir eu la bonne idée de se fiancer. Et à l’enfant, on inventera un nom de famille. Mais bon. Une brèche est ouverte, et c’est à la société civile de continuer à se battre. Pour avoir plus.

Héritage : Une brèche est ouverte

On ne s’y attendait pas et pourtant, la Commission chargée de la réforme l’a fait : elle a proposé un changement concernant l’héritage, l’un des points les plus sensibles du Code du statut personnel. A peine. Mais elle l’a quand même fait. En effet, la proposition veut que les petits-enfants du côté de la fille héritent de leur grand-père au même titre que les petits-enfants du côté du fils, mettant ainsi fin à ce qui est considéré par Maître Boucetta and Co comme une tradition tribale et sans aucun fondement religieux qui avantageaient les héritiers mâles dans le partage des terres reçues en héritage. Ca semble être peanuts et ça l’est effectivement face à la véritable inégalité, qui accorde au fils deux fois plus que la fille d’un père décédé, celle qui enlève aux filles d’un père décédé pour donner à ses frères. La commission a voulu, là aussi, marquer le coup, ouvrir une brèche. Donner un signe.

MRE : Vers un mariage civil ?

Le moins que l′on puisse dire est que les avis sont partagés. La réforme de la Moudawana prévoit en effet que les MRE peuvent conclure leur mariage "en conformité avec les procédures administratives locales". Seule contrainte : la présence de deux témoins musulmans. Qu′est-ce-à-dire ? Que notre futur couple de jeunes mariés, vivant en France, se verra reconnaître son mariage devant un maire ? Auquel cas, le roi aurait-il fait une incursion sur le délicat terrain du mariage civil ? Pas si sûr. Pour que le mariage soit valide, le jeune couple disposera de 3 mois pour déposer une copie de l′acte auprès des services consulaires dont relève la circonscription où l′acte a été conclu ou, s′il n′y a pas de consulat, envoyer cette copie au ministère des Affaires Etrangères. Or, il y a des adouls dans chaque consulat. Auront-ils une simple fonction d′enregistrement ou procèderont-ils à "l′islamisation" de l′acte de mariage ? Rien ne le précise. Quoi qu′il en soit, certains voient déjà dans cette procédure de simplification une avancée non négligeable pour les MRE.

Adouls : Les nouveaux aides judiciaires

En précisant dès l′article 3 du projet de réforme que "le ministère public intervient comme partie prenante dans toute action visant l′application des dispositions de ce code", les rédacteurs tentent-ils d′écarter nos bons vieux adouls, objets de toutes les critiques ? Peut-être. Surtout si l′on tient compte de la lettre que le roi a adressée au ministre de la Justice, Mohamed Bouzoubâa, lui demandant la création rapide des tribunaux de famille et la mise en place d′une formation spéciale pour ces juges des affaires familiales. Or, la principale fonction des adouls était de juger de la conformité des actes à la charia. Certes, les référentiels religieux demeurent mais en instituant des tribunaux, certains estiment que l′on passe d′une prégnance du religieux à une sécularisation douce. Pour d′autres encore, les adouls ne seront plus que des aides judiciaires, de simples exécutant en charge de la rédaction des actes. L′avenir et l′application de ce nouveau code nous le diront.

Telquel

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