Ces Belgo-Marocains qui quittent la Belgique pour le Maroc

4 septembre 2024 - 18h00 - Belgique - Ecrit par : S.A

La Belgique fait face à une fuite des talents belgo-marocains qui « va perdurer ». Ces talents optent pour Casablanca, Marrakech et Rabat au détriment de Bruxelles.

« Je me souviens d’une cousine, il y a quinze ans, qui avait quitté Bruxelles pour s’installer à Casablanca. Personne ne pouvait envisager son choix », raconte à La Libre Hakima Mommen, une Belgo-Marocaine de troisième génération, dont les grands-parents ont rejoint la Belgique dans les années 1960. « De telles histoires, il y a dix ans, nous les aurions écoutées avec des yeux écarquillés. Nous l’aurions qualifiée de “dingue”, de ’complètement folle’… Désormais, on s’y intéresse, on en parle en famille, entre amis, on pose des questions, on demande des nouvelles, insiste Ridouane, un haut fonctionnaire belge. Même moi, qui me sens très bien intégré, Belge jusqu’au bout des ongles, j’y ai pensé. Le retour au Maroc, pour nous, les Belgo-Marocains, c’est désormais un horizon possible. »

Hakima renchérit : « Aujourd’hui, les mentalités ont évolué, et tout le monde comprend de telles trajectoires de vie. Seule ma grand-mère n’a pas compris immédiatement. Elle qui s’est battue avec mon grand-père pour construire leur vie en Belgique, elle eut un peu l’impression que leurs efforts n’avaient servi à rien. Mais ce n’est pas vrai. Elle le sait désormais et est très fière de mon parcours. » Cette diététicienne, nutrithérapeute et mentor en épanouissement personnel, professionnel et spirituel s’est installée à Marrakech. « Le Maroc, je le connaissais par nos vacances familiales que nous passions à Oujda, dans l’est. Mais jamais je n’aurais imaginé m’y installer. Jeune, j’avais besoin d’autre chose, de liberté… Vers mes trente ans, j’ai redécouvert ce pays de mes racines à travers mon travail de nutritionniste, et mon regard a changé. D’autant plus durant l’épidémie de Covid-19. Cette année-là, un voyage à Dubaï me permit de réaliser qu’il y avait d’autres horizons que celui de la Belgique. C’est alors que j’ai fait le pas et que j’ai fini par m’installer à Marrakech. Les possibilités offertes par le télétravail m’ont beaucoup aidée. Désormais, j’accompagne mes patients en ligne, ce qui est très facile, et propose des retraites à Marrakech. »

À lire :« J’ai le Maroc dans mes gènes et la Belgique dans mes veines »

Hakima témoigne tout de même sa gratitude à la Belgique : « Quant à moi, je suis toujours reconnaissante envers la Belgique et ce qu’elle m’a offert durant 37 ans. Mais je dois bien avouer que je suis désormais amoureuse du Maroc, de son incroyable chaleur humaine et de la liberté qu’il nous octroie. Je me sens libre ici. » « Je suis arrivé au Maroc il y a près de 15 ans. À l’époque, j’étais un pionnier… », confie Merouane Touali, fondateur d’un bureau de consultance en communication et relations publiques, et président du Cercle des Lauréats de Belgique (une association qui regroupe les diplômés de Belgique résidant au Maroc). Il a quitté la Belgique pour Rabat en 2007 avec la volonté de « donner un nouveau souffle à [sa] carrière » en rejoignant un groupe privé marocain, puis des institutions publiques. « En leur sein, j’ai observé et participé au développement phénoménal du Royaume ces quinze dernières années. C’était passionnant », assure-t-il, avant d’expliquer la fuite des compétences belgo-marocaines vers le Maroc.

« Le pays offre énormément d’opportunités et est devenu très agréable à vivre, insiste celui qui rencontre régulièrement des Belgo-marocains qui s’installent désormais à Rabat ou en province pour lancer des activités dans la construction, le tourisme, le digital. Les infrastructures routières se développent, la fibre optique est connectée, on retrouve des écoles belges et les soins de santé progressent, notamment par les conventions de prise en charge des soins entre la Belgique et le Maroc. Entre l’Europe et l’Afrique, le pays est également très bien situé. Tout n’est pas facile bien sûr. Certains retournent en Belgique, car ils connaissent des échecs. Mais je suis certain que ce mouvement de retour vers le Maroc va perdurer et que beaucoup, tout en restant à Bruxelles, développeront des activités au sud de la Méditerranée. »

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Jérémy Mandin, chercheur à l’Université de Liège, évoque, lui, une double cause. Il y a d’abord les crises économiques et sociales qui marquent la Belgique et y installent un climat pesant. Beaucoup y ressentent un enlisement, explique-t-il.

Celui qui a défendu une thèse, en 2021, consacrée aux Belgo-Marocains rejoignant Montréal ajoutera : « La Belgique n’est plus considérée comme un pays émancipateur pour les jeunes diplômés, particulièrement pour ceux issus des minorités étrangères qui souffrent encore de discriminations professionnelles. Ils ont l’impression qu’ils buteront toute leur vie sur un plafond de verre, que certaines opportunités leur échapperont inévitablement.

Mais attention. Leur départ n’est pas que la fuite d’un contexte austéritaire ; il résulte aussi d’une envie de rejoindre des régions dynamiques, des villes mondialisées et globales qui offrent de nombreuses opportunités ». Des raisons affectives, religieuses, culturelles et professionnelles souvent entremêlées qui n’abolissent pas leur attachement à leur double nationalité sont également à l’origine du retour au Maroc. « Ce qui est intéressant, souligne néanmoins Jérémy Mandin, c’est que beaucoup de ceux que j’ai interrogés se sont sentis reconnus comme Belges une fois arrivés à l’étranger. » Ridouane confirme : « Oui, ils restent attachés à la Belgique qui les a vu grandir, mais je suis certain que plus le Maroc se développera, plus ce phénomène de retour prendra de l’ampleur, prédit Ridouane. Rabat le sait et surfe sur son soft power pour l’encourager. Vous savez, même le parcours jusqu’en demi-finale du Maroc lors de la Coupe du Monde 2022 a participé à un tel mouvement.

Cette épopée a engendré un grand sentiment de fierté, d’appartenance, d’attrait pour le pays. Cela peut faire dévier une trajectoire de vie. Je pense que la Belgique a intérêt à surveiller ce phénomène. Elle doit réaliser que si elle ne veut pas devenir un hub éducatif que l’on quitte le diplôme obtenu, elle doit faire en sorte – en priorité – que chacun se sente respecté et reconnu en ses murs. »

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