Pourquoi le poisson marocain est victime de son succès

8 décembre 2007 - 01h12 - Economie - Ecrit par : L.A

Les Japonais raffolent tellement du calamar marocain qu’ils le consomment cru ! Et quand il est en repos biologique, ils le font savoir, car le poisson marocain est un luxe. En fait, sa texture et son goût si fins en font un des poissons les plus prisés à travers le monde. C’est en raison de cela que le poisson qui siège dans nos assiettes vient d’ailleurs.

C’est ainsi que le Maroc, en dépit de sa production de 882.000 tonnes (2006), ses 3.500 km de côtes considérées comme les plus productives du monde, en est arrivé à importer du poisson pour sa consommation locale.

Cette forte demande n’a pas non plus manqué de faire grimper les prix à l’international en raison de la tendance haussière générale. Et cela, en raison de la croissance de la demande couplée à une raréfaction de la ressource halieutique à l’échelle mondiale et au Maroc en particulier. De plus, les coûts d’exploitation des bateaux de pêche sont de plus en plus élevés suite à la flambée du pétrole. A cela s’ajoute la proximité du 2e plus grand consommateur du monde qui est l’Espagne avec 43 kg/habitant/an. Et les Japonais qui battent le record avec 70kg/habitant/an. A côté de ces deux dévoreurs de poisson, le Maroc fait bien pâle figure avec ses 7kg/habitant/an.

Résultat, aucune autre alternative pour le Royaume que d’importer pour sa consommation locale. Sans oublier la barrière du prix, qui empêcherait les ménages de consommer du poisson. A titre d’exemple, le calamar marocain est exporté à 130 DH le kilo, celui en provenance de l’étranger est importé à 30 DH le kilo. Il arrive, en bout de course, dans le panier à quelque 60 DH le kilo, soit plus de deux fois moins cher que la production locale.

« Malgré des droits de douane très élevés, le poisson importé reste bon marché par rapport au poisson marocain », signale un importateur. D’où vient le poisson surgelé que l’on consomme ? Pour une large part, des quatre coins du monde et très peu des côtes marocaines. Pourtant, la pêche hauturière avec ses 300 chalutiers-congélateurs aurait largement satisfait à la demande. Sa production annuelle moyenne est de 53.381 tonnes de 2001 à 2006. Mais « celle-ci préfère l’exportation », constate un industriel, surtout pour une large gamme de poissons qui n’entre pas forcément dans la consommation locale. « En particulier, le poulpe et autres poissons nobles », souligne un importateur de poisson congelé.

Selon un responsable d’une grande unité intégrée, à peine 10% de la production hauturière est orientée vers le marché intérieur. « Elle est essentiellement constituée de poissons de 2e, voire de 3e choix », constate le même importateur. Il s’agit de poissons de moindre fraîcheur, pêchés dans les premiers jours de la sortie en mer des bateaux. Les céphalopodes, crevettes et poissons pélagiques sont, quant à eux, totalement exportés. Les autres sources d’approvisionnement de l’industrie de la congélation sont les pêches côtière et artisanale. Elles ont fourni quelque 27.000 tonnes de poissons frais en 2007, dont une partie seulement s’est retrouvée sur notre marché. Aussi, le volume des importations a pratiquement doublé entre 2002 et 2004 pour atteindre près de 30.000 tonnes dont 47% sous forme de produits finis (14.000 tonnes). Une quantité répartie entre 12.000 tonnes pour les industries de transformation (essentiellement la conserve de thons et de maquereaux) et 2.000 tonnes pour la consommation locale, selon l’Office des changes. On peut estimer à près de 10.000 tonnes la quantité de poisson congelé destinée à la consommation locale. Et ce sont une dizaine de larrons qui se partagent le marché. Ils s’approvisionnent principalement de Chine (rien d’étonnant), d’Argentine et du Sénégal. Le plus gros est représenté par les crevettes, suivies des calamars et filets de poisson notamment de merlan.

Toutefois, tout n’est pas rose. Le secteur souffre de plusieurs maux. Les unités qui traitent le poisson importé sont confrontées au problème d’approvisionnement. Cent cinquante unités existent, mais seule une dizaine (agréées par l’UE), commercialise du poisson surgelé sur le marché local. Leurs grands clients sont répertoriés : grandes surfaces, cantines scolaires, restauration d’entreprises et les marchés de l’Etat(armée). Suite au faible approvisionnement en céphalopodes (poulpe, calamar), certaines ont mis la clef sous le paillasson, d’autres se sont converties au traitement des espèces pélagiques (sardines notamment). De plus, et malgré la sévérité du contrôle sanitaire, l’informel continue de faire rage. Des garages sont improvisés en unités de traitement, où l’hygiène est quasi-inexistante.

Le « Derb Ghallef » du poisson casse les prix et cause beaucoup de tort à ces unités agréées. Hafsa Samac, société d’élaboration et de valorisation de poisson, un des leaders du surgelé, en écoule une tonne par jour. Son chiffre d’affaires, autour de 50 million de DH en 2006, stagne depuis l’année précédente. Mais elle ne désespère pas pour autant. « Ce marché est appelé à se développer car la qualité des produits est incontestable. Nous connaissons toutes les étapes par lesquelles est passé le produit », atteste El Hassane El Bey, gérant de Hafsa Samac. En effet, le marché du poisson surgelé est encore à ses balbutiements comparé à la moyenne mondiale de la consommation qui avoisine les 35%.

Au Maroc, les chiffres peuvent paraître dérisoires : 27.000 tonnes en 2007 contre 28.235 en 2006 destinées à la surgélation, soit près de 5% du total des produits de la pêche côtière sur les 10 premiers mois de l’année. Cette légère baisse de 4,3% s’explique par la baisse de la capture de poulpes, conséquence de la surexploitation de cette ressource par une pêche illicite. Comment les pouvoirs publics pourraient contribuer à faire évoluer cette niche ? En assurant la promotion de la consommation du poisson en général et du surgelé en particulier.

L’accent devrait être mis sur la fraîcheur et la qualité du produit, mais aussi sur le prix plus que compétitif. L’autre action devrait se concentrer sur les brebis galeuses informelles, dont les produits sont d’abord nocifs pour la santé, et dont l’activité est nuisible pour les opérateurs qui agissent en toute transparence. Il serait tout aussi bénéfique de recadrer la pêche illicite, qui est en partie responsable du déséquilibre biologique actuel. Ces mesures représentent d’ailleurs les grandes lignes du programme mis en oeuvre par l’Office national des pêches.

Super droits de douane

Les importateurs s’acquittent des droits d’importation et de taxes qui varient en fonction de l’espèce : 50% de droits de douane pour les crevettes, 80% pour les filets de merlan. Ce qui augmente considérablement le prix du poisson. « Ce n’est pas normal », lance un importateur de la place. Et d’ajouter, « ces importations sont devenues stratégiques et indispensables pour la sécurité alimentaire du pays ». « Nous n’avons rien à protéger puisqu’il n’y a pas de surplus de production alors pourquoi des droits d’importation de poisson aussi élevés », s’indigne El Hassane El Bey, gérant de Hafsa Samac.

L’Economiste - Jihane Kabbaj

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Sujets associés : Japon - Exportations - Pêche - Alimentation

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