Prisonnier pendant 25 ans, le capitaine Najab dénonce le polisario

27 avril 2004 - 21h07 - Maroc - Ecrit par :

RABAT (AP) - Prisonnier de guerre pendant un quart de siècle, le capitaine de l’armée de l’air marocaine Ali Najab, 61 ans, a besoin de parler. De sa carrière de pilote brisée, de son épouse, universitaire, qui l’a attendu pendant son interminable captivité, de sa fille de 28 ans, qu’il n’a pas vu grandir, de sa petite-fille, qu’il n’a pas vu naître, et de sa retraite, synonyme de difficile renaissance d’homme libre dans un pays qu’il ne reconnaît plus.

Jusqu’au 1er septembre 2003, date de sa libération, Ali Najab faisait partie de ce que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) considère comme étant "les plus vieux prisonniers de guerre du monde", une situation que Rabat dénonce aujourd’hui comme "un scandale humanitaire" en menaçant de saisir les juridictions pénales internationales.

Au total, ce sont quelque 2.500 soldats marocains, capturés au Sahara-Occidental entre 1975 et 1991, date du cessez-le-feu conclu sous l’égide de l’ONU, qui ont été gardé en captivité, en violation de toutes les conventions humanitaires, dans les camps des rebelles indépendantistes du Polisario installés en territoire algérien.

Libérés progressivement depuis 1995, ils sont encore 513 prisonniers du désert malgré les appels répétés du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, à leur "libération totale et inconditionnelle".

Aujourd’hui affranchi par ses geôliers et libéré de son devoir de réserve de militaire, Ali Najab veut témoigner. Dans la sobriété mais avec une détermination implacable. Pour "ses 25 ans de vie volée" et pour ses frères d’armes encore retenus dans les dunes algériennes et artisans anonymes de la conquête par le Maroc en 1975 du Sahara-Occidental.

"Je vis un mélange de bonheur et d’anxiété, il faut réapprendre à vivre" explique le pilote, abattu aux commandes de son chasseur F5 le 10 septembre 1978 au crépuscule. "J’étais en mission de reconnaissance à vue près de Smara, je me suis éjecté quand le deuxième réacteur a pris feu" se souvient-il. Indemne mais en territoire ennemi "à seulement 10 kilomètres de nos unités", l’alors jeune officier, formé aux Etats-Unis et en France, tombe dans les mains des rebelles indépendantistes sahraouis, soutenus par l’armée algérienne.

"J’ai été roué de coups puis transféré et interrogé par quatre officiers algériens à leur quartier général de Tindouf (1.200km au sud-est d’Alger)", témoigne Najab. "Nous avons toujours trouvé les Algériens derrière le rideau du Polisario que l’on devrait nommer ’Algérisario’."

Commence alors une "longue nuit d’esclavage, de tortures et de mensonges" que l’association France-Libertés, dirigée par Danielle Mitterrand, avait dénoncé dans un rapport accablant pour le Polisario et l’Algérie, qualifiée de "puissance hébergeante", publié en septembre 2003.

"Ceux qui refusaient de travailler à la construction des infrastructures, au déchargement de l’aide humanitaire internationale, étaient roués de coups, gardés au secret, ligotés pieds et main avec du fil de nylon et privés de nourriture", souligne Najab en assurant avoir "vu de ses yeux" 48 tombes de prisonniers marocains, la plupart exécutés sommairement après avoir tenté de s’évader.

"Nous vivions dans la peur. Tous les prisonniers, je dis bien tous, sont détraqués", poursuit le capitaine, confirmant ainsi les conclusions du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) sur l’état avancé de "délabrement physique et de détresse psychologique" des captifs du Polisario, dont plus d’une centaine sont morts en détention.

Les multiples visites des associations humanitaires ou de la presse internationale, organisées par les autorités indépendantistes de la République arabe sahraouie démocratique (RASD, autoproclamée et reconnue par une quarantaine d’Etats) n’ont pour l’heure pas infléchi la détermination du Polisario et de l’Algérie à utiliser ces prisonniers comme otages de la résolution de cet interminable conflit "fruit de la Guerre froide", selon Ali Najab.

"Il fallait créer un monstre pour avaler le Maroc et sa monarchie avec l’aval de l’URSS. L’Algérie avec son armée et son Polisario devait construire le squelette, la Libye, avec son argent et son pétrole, devait donner les muscles mais ils ont oublié l’âme", analyse le capitaine.

Mais l’officier retraité est également lucide sur "le mépris et l’accueil glacial" que réservent les autorités marocaines à leurs soldats du désert.

Sujet tabou jusqu’à la mort en 1999 du roi Hassan II, "les plus vieux prisonniers de guerre du monde", symboles d’une guerre d’annexion qui ne veut pas dire son nom, ont longtemps été accueillis presque clandestinement lors de leur retour au pays. Tenus au devoir de réserve, soldes et grades gelés pendant toute leur captivité, privés de toute assistance psychologique, ces soldats oubliés vivent souvent mal leur retour à "la mère patrie" peu reconnaissante. AP

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