Violence : Les femmes et les enfants d’abord

28 juillet 2008 - 09h05 - Maroc - Ecrit par : L.A

Dans le foyer conjugal comme à l’école, le châtiment corporel n’a rien de tabou. Quoi qu’en dise la loi…

Ils ne se ressemblent pas, mais ils s’assemblent. Dans la douleur. Samira, femme au foyer, trentenaire et illettrée, et Halim, élève en sixième à l’école publique casablancaise, sont tous deux régulièrement victimes de “corrections”, respectivement administrées par un mari autoritaire et un enseignant au sens pédagogique bien particulier. Une pratique qui reste courante dans “le plus beau pays du monde”, bien que les textes juridiques s’y opposent formellement.

En effet, l’article 404 du Code pénal verbalise “quiconque a volontairement porté des coups ou causé des blessures à l’un de ses ascendants, à son kafil ou à son époux”, alors que l’article 408 punit “d’un à trois ans de réclusion quiconque a volontairement causé des blessures ou porté des coups à un enfant âgé de moins de quinze ans”. Mais il y a un bémol : dans le premier cas, une éventuelle plainte est subordonnée à la présentation d’une douzaine de témoins oculaires de sexe masculin, et le second texte exclut de la punition pénale les coupables de “violences légères”, dont la gravité est laissée à l’appréciation du juge. Résultat : le châtiment corporel continue à sévir, tant dans le milieu scolaire que dans le milieu domestique.

Victimes : 9 enfants sur 10

Dans une enquête du ministère de la Justice, réalisée en novembre 2006 en partenariat avec l’Unicef, 9 enfants sondés sur 10 affirment avoir été victimes de violences à l’école. Le document énumère une variété de pratiques de “punition”, de la plus légère à la plus cruelle : des coups de bâton à la gifle ponctuelle, en passant par la traditionnelle falaka et même l’administration de… décharges électriques !

Le calvaire des petites têtes brunes se prolonge jusque dans leur foyer : dans la même enquête, 6 parents sur 10 reconnaissent recourir aux punitions physiques contre leur progéniture. Conclusion : 69% des enfants marocains âgés de 2 à 14 ans subissent des violences, dont 24% sont d’un certain niveau de gravité. Et c’est dans les campagnes que la violence à l’égard des enfants est quasi systématique, corollaire d’une éducation “à la dure”.

Les résultats d’une enquête effectuée par le ministère de la Santé (avec le soutien de l’Unicef, du Fonds des Nations Unies pour la population et du Projet panarabe pour la santé de la famille) indiquent que près des trois-quarts des enfants vivant en milieu rural subissent des “châtiments légers”, contre 64 % en milieu urbain. Les femmes ne sont pas mieux loties. Les centres d’écoute, créés en vue d’assister les victimes de violences, recensent près de cinquante appels par jour. Là aussi, les spécificités culturelles du monde rural en font un environnement plus violent pour le sexe féminin.

Qui aime bien…

Aux obstacles que constituent les preuves de violences, s’ajoute la nonchalance avec laquelle les représentants de l’ordre accueillent souvent les plaintes. Les policiers sont au mieux froids, au pire moqueurs. “Les dossiers sont souvent traités avec une scandaleuse indifférence. Parfois, on fait même ressentir à la victime qu’elle est le vrai coupable”, affirme ainsi une militante de la Ligue démocratique pour les droits des femmes (LDDF).

Des réactions qui s’inscrivent en droite ligne d’une culture conservatrice, souvent confortée par une mythologie religieuse permissive, comme celle véhiculée par Mustapha Ben Hamza, professeur de théologie à Oujda. Ce dernier présente en effet les sévices corporels infligés à la femme comme un droit divin, et octroie à l’homme, sous couvert religieux, la prérogative de corriger une épouse récalcitrante. Le même raisonnement vaut pour la violence à l’égard des enfants. “Le châtiment corporel est perçu comme une méthode éducative en bonne et due forme, aux lettres de noblesse ancestrales”, explique le psychiatre Mohamed El Kardi. Le comble du drame est atteint lorsque la victime devient “consentante”, trouvant elle-même, souvent par un mécanisme de défense, des justifications aux violences qu’elle subit. C’est le cas de Samira, qui semble s’accommoder de sa situation de femme battue. “Mon mari me frappe par jalousie, confie-t-elle. Cela prouve aussi qu’il m’aime”. Manifestement, le mari en question prend un peu trop au pied de la lettre le fameux adage : “Qui aime bien, châtie bien”.

Source : TelQuel - Imane El Khayat

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Droits et Justice - Lois - Femme marocaine - Enfant

Aller plus loin

Les Marocains favorables aux « châtiments corporels » dans l’éducation des enfants (Étude)

Plus de la moitié (53 %) des Marocains sont favorables aux « châtiments corporels » sur les enfants pour les discipliner et les rendre plus obéissants. C’est ce que révèle une...

Ces articles devraient vous intéresser :

Prison : le Maroc explore les « jour-amendes »

L’introduction du système de jour-amende dans le cadre des peines alternatives pourrait devenir une réalité au Maroc. Une loi devrait être bientôt votée dans ce sens.

Plaidoyer pour l’abolition de la peine de mort au Maroc

La lutte contre l’abolition de la peine capitale est toujours d’actualité au Maroc. En témoigne la récente participation des réseaux et militants marocains contre la peine de mort, à la 8ᵉ édition du congrès mondial qui s’est tenu à Berlin du 18 au 25...

Youssra Zouaghi, Maroco-néerlandaise, raconte l’inceste dans un livre

Victime d’abus sexuels et de négligence émotionnelle pendant son enfance, Youssra Zouaghi, 31 ans, raconte son histoire dans son ouvrage titré « Freed from Silence ». Une manière pour elle d’encourager d’autres victimes à briser le silence.

Le Maroc confronté à la réalité des violences sexuelles

Les femmes marocaines continuent de subir en silence des violences sexuelles. Le sujet est presque tabou au Maroc, mais la parole se libère de plus en plus.

L’humoriste Taliss s’excuse après avoir insulté la femme marocaine

L’humoriste Taliss de son vrai nom Abdelali Lamhar s’est excusé pour la blague misogyne qu’il a faite lors d’une cérémonie organisée en hommage aux Lions de l’Atlas qui ont atteint le dernier carré de la coupe du monde Qatar 2022. Il assure n’avoir pas...

Les avocats marocains passent à la caisse

Les avocats marocains doivent désormais s’acquitter d’une avance sur l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés au titre de l’exercice en cours auprès du secrétaire–greffier à la caisse du tribunal pour le compte receveur de l’administration fiscale....

L’actrice Malika El Omari en maison de retraite ?

Malika El Omari n’a pas été placée dans une maison de retraite, a affirmé une source proche de l’actrice marocaine, démentant les rumeurs qui ont circulé récemment sur les réseaux sociaux à son sujet.

Un ancien ministre interdit de quitter le Maroc après ses propos sur le roi Mohammed VI

Les autorités marocaines ont interdit à l’ancien ministre Mohamed Ziane de quitter le royaume, après ses déclarations contre le roi Mohammed VI dont il dénonçait l’absence prolongée.

Maroc : un « passeport » pour les nouveaux mariés

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) appelle à la mise en place d’un « passeport » ou « guide » pour le mariage, dans lequel seront mentionnées les données personnelles des futurs mariés, ainsi que toutes les informations sur leurs...

Plaintes de MRE : 96 % de satisfaction selon le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire

En 2022, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) a traité près de 96 % des doléances présentées par les Marocains résidant à l’étranger (MRE), selon un rapport de l’institution. Sur un total de 527 plaintes déposées, 505 ont été traitées par...