Vers la criminalisation du mariage des mineures ?

17 juillet 2023 - 23h20 - Maroc - Ecrit par : A.P

Le mariage des mineures est un phénomène persistant au Maroc en raison du pouvoir de dérogation accordé aux juges. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, farouchement opposé à cette pratique, entend y remédier à travers la réforme du Code pénal.

« La question du mariage des mineures ne doit plus être posée. Il faut la trancher, car il est inconcevable qu’une fille soit privée de sa scolarité et de son enfance », déclarait Abdellatif Ouahbi le 3 janvier, dans un talk-show sur la chaîne marocaine al-Aoula. Le ministre de la Justice et secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM) considère cette pratique comme « un viol », donc un crime qui devrait être puni par la loi. Interpelé sur le sujet le 28 novembre dernier au parlement, il affirmait être favorable à « la criminalisation du mariage des mineures », rappelant que « l’âge minimum du mariage doit être de 18 ans, pas en dessous ».

À lire : Le mariage des mineurs, c’est un « viol d’enfant », selon Abdellatif Ouahbi

Mais bien que le législateur ait fixé la majorité à 18 ans, il a laissé au juge le pouvoir d’autoriser le mariage des mineurs « par décision motivée précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage… » (article 20 du Code de la famille ou Moudawana). Sur près de 28 930 demandes d’autorisation de mariages de mineurs en 2021, le juge en a accordé 20 000, la plupart contre l’avis du parquet, soit un taux d’acceptation de 70 %, fait savoir Middle East Eye, précisant que 13 000 demandes sur près de 20 000 avaient été autorisées un an plus tôt, selon un rapport du ministère public qui alerte contre la hausse inquiétante de ces autorisations depuis 2004.

À lire : Le mariage des mineures sévit toujours au maroc

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait également dénoncé le phénomène. « Le problème est que le législateur, en dérogeant aux normes qu’il a lui-même fixées en matière de mariage, a créé en même temps de la confusion et des antinomies dans les lois qui affaiblissent la protection juridique des enfants », a-t-il indiqué dans un rapport publié en 2019, notant aussi des conséquences néfastes de ce mariage sur la santé mentale et physique des jeunes filles. « Les mères entre 15 et 19 ans courent deux fois plus de risque de mourir des suites d’une grossesse ou d’un accouchement […] et sont très exposées aux violences familiales et conjugales, physiques, sexuelles et verbales », relève le CESE.

À lire : Le Maroc cherche à mettre fin au mariage des mineures

« La non-scolarisation et la déscolarisation prématurée des filles, l’inégalité entre les hommes et les femmes, le manque d’accès à une éducation de qualité, aux services de santé et de la justice, sont considérés à la fois comme des causes et des conséquences du mariage d’enfants et des facteurs de pérennisation de cette pratique », précise le CESE dans son rapport. Pour remédier au problème, il faut supprimer le pouvoir de dérogation accordé au juge et « criminaliser » le mariage des mineurs, assure Abdellatif Ouahbi. C’est l’objectif de la réforme du Code pénal initiée par le gouvernement, et fortement combattue par le parti islamiste, le Parti de la justice et du développement (PJD).

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Moudawana (Code de la famille) - Mariage forcé - Enfant - Abdellatif Ouahbi - Ministère de la Justice et des Libertés - Code pénal marocain

Aller plus loin

Le mariage des mineurs, c’est un « viol d’enfant », selon Abdellatif Ouahbi

Le ministre de la Justice tient à en finir avec le mariage des mineurs. Invité dans l’émission « Noukta ila Satr » mardi, Abdellatif Ouahbi a confié que le mariage des mineurs...

Le mariage des mineures au Maroc : une exception devenue la règle

Depuis des années, le taux de prévalence des mariages des mineurs évolue en dents de scie au Maroc. En cause, l’article 20 du Code de la famille qui donne plein pouvoir au juge...

Le Maroc cherche à mettre fin au mariage des mineures

En réponse à une question orale à la Chambre des Conseillers, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi a renouvelé ce lundi 28 novembre, son engagement à mettre un terme au...

Maroc : une campagne digitale contre le mariage des enfants

Le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) au Maroc apporte son soutien à une campagne mondiale de lutte contre le mariage des enfants. Le jour de la célébration de...

Ces articles devraient vous intéresser :

Au Maroc, le mariage des mineures persiste malgré la loi

Le mariage des mineures prend des proportions alarmantes au Maroc. En 2021, 19 000 cas ont été enregistrés, contre 12 000 l’année précédente.

Samira Saïd : la retraite ?

La chanteuse marocaine Samira Saïd, dans une récente déclaration, a fait des confidences sur sa vie privée et professionnelle, révélant ne pas avoir peur de vieillir et avoir pensé à prendre sa retraite.

Après ses propos «  provocateurs  », Abdellatif Ouahbi présente ses excuses aux Marocains

Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a présenté ses excuses aux Marocains pour sa déclaration au sujet de la révision des résultats d’un concours d’accès à la profession d’avocat, indiquant qu’une telle action créerait une mauvaise jurisprudence.

Abdellatif Ouahbi accusé par les salafistes d’atteinte à l’islam

La réforme du Code de la famille passe mal chez les salafistes. Prêcheurs et imams de mosquées sont en colère contre le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi.

Vers une révolution des droits des femmes au Maroc ?

Le gouvernement marocain s’apprête à modifier le Code de la famille ou Moudawana pour promouvoir une égalité entre l’homme et la femme et davantage garantir les droits des femmes et des enfants.

Maroc : un ancien diplomate accusé de prostitution de mineures risque gros

L’association Matkich Waldi (Touche pas à mon enfant) demande à la justice de condamner à des « peines maximales » un ancien ambassadeur marocain, poursuivi pour prostitution de mineures.

Maroc : plus de droits pour les mères divorcées ?

Au Maroc, la mère divorcée, qui obtient généralement la garde de l’enfant, n’en a pas la tutelle qui revient de droit au père. Les défenseurs des droits des femmes appellent à une réforme du Code de la famille pour corriger ce qu’ils qualifient...

Le Maroc s’inquiète de « l’influence croissante des homosexuels »

Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice et secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM), s’est exprimé une fois de plus sur l’homosexualité. Au Maroc, les pratiques homosexuelles restent punies par la loi.

Le PJD en colère contre le nouveau Code de la famille

Le parti de la justice et du développement (PJD) dirigé par Abdelilah Benkirane, affiche son opposition à la réforme du Code de la famille. Du moins, pour certaines propositions.

Le droit des femmes à l’héritage, une question encore taboue au Maroc

Le droit à l’égalité dans l’héritage reste une équation à résoudre dans le cadre de la réforme du Code de la famille au Maroc. Les modernistes et les conservateurs s’opposent sur la reconnaissance de ce droit aux femmes.