« Le ralentissement du marché immobilier marocain s’explique par un décalage profond entre l’offre et la demande, aggravé par plusieurs facteurs », analyse pour Challenge l’expert immobilier Karim Librahimi. Le secteur a enregistré au cours des premiers mois de l’année une baisse de 30 % des transactions, traduisant la profondeur de la crise alimentée par des tensions financières, administratives et réglementaires. Le directeur de l’agence Le Point de vente à Rabat explique que « les taux d’intérêt élevés et les conditions strictes d’octroi excluent de nombreux ménages » et que « les promoteurs, privés de préventes, doivent emprunter à des coûts exorbitants, ce qui renchérit les prix. » Cette situation conduit à l’inaccessibilité de l’immobilier pour les ménages à revenus moyens, dont le pouvoir d’achat est déjà affaibli par l’inflation. « Les matériaux de construction et les dépenses quotidiennes grèvent le pouvoir d’achat, rendant l’accession quasi impossible pour la classe moyenne », affirme-t-il.
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Conséquence, « les acheteurs espèrent une baisse des prix, tandis que les promoteurs reportent leurs projets, faute de visibilité », note Karim Librahimi, soulevant en outre la question de la disponibilité du foncier pour construire. « Les terrains constructibles se font rares dans les centres-villes, et les limitations d’étages (PLU) réduisent la rentabilité des projets », fait-il observer. Face à cette situation, les acheteurs délaissent les centres pour les périphéries. « Les centres deviennent inaccessibles, poussant la demande vers des banlieues éloignées comme Témara ou Berrechid. » L’expert évoque aussi l’inefficacité administrative et l’incertitude juridique comme freins au développement du secteur. « Les délais pour obtenir un permis de construire ou un enregistrement notarial s’allongent, bloquant des projets entiers », déplore-t-il, ajoutant que « l’absence de règles claires sur la VFA (Vente en l’État Futur d’Achèvement), les résidences touristiques ou les taxes locales crée un climat d’incertitude », aussi bien pour les acteurs locaux que pour les investisseurs étrangers.
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La crise affecte tous les acteurs. « La baisse des transactions réduit les revenus des agences immobilières, et la concurrence devient féroce sur un stock immobilier figé », relève l’expert immobilier. Les notaires, eux, voient le nombre d’actes authentiques chuter, tandis que les citoyens sont contraints, face à la hausse des prix et des loyers, de se tourner vers l’informel ou les périphéries. Quant aux investisseurs étrangers, ils « hésitent à s’engager dans un marché jugé trop instable ». Les acheteurs locaux, pour leur part, « redoutent les retards de livraison ou les changements de réglementation en cours de projet. » Pour relancer et dynamiser le secteur, Karim Librahimi appelle à la mise en place d’un guichet unique digital. L’expert recommande « un contrat-type VFA sécurisé, avec des pénalités en cas de retard et une garantie des fonds » et de renforcer la transparence et l’accès au logement pour les primo-accédants. « Le marché immobilier marocain a besoin d’un nouveau pacte entre tous les acteurs. Seule une approche globale et courageuse permettra de relancer durablement le secteur », a-t-il conclu.