Aboubakar Cissé a été poignardé à plusieurs reprises par le suspect le 25 avril, alors qu’il priait dans la mosquée de La Grand-Combe, dans le Gard. Le jeune Malien vient d’être inhumé dans son pays d’origine. « Il y a beaucoup de tristesse mais très peu d’étonnement. On ressent la pression qui monte depuis des mois. On voit toutes les mosquées qui sont vandalisées partout dans le pays et la peur. Je suis un homme optimiste mais en regardant vers l’avant, je me dis que nous ne sommes pas à l’abri du pire, confie à Libération Hafid, un retraité musulman, en charge avec « d’autres » de la sécurité, de l’administration et de l’entretien d’une petite mosquée de Seine-Saint-Denis.
Dimanche, une marche a été organisée à Paris et dans toute la France, en hommage au Malien. Dans un communiqué publié vendredi, le parquet de Nîmes a annoncé la mise en examen et l’incarcération du principal suspect, Olivier H, un jeune Français de 20 ans. Il a été arrêté en Italie et transféré en France, puis inculpé pour « assassinat en raison de la religion ». Hafid s’inquiète de la montée de la violence envers les musulmans. « […] Aujourd’hui, on vise les musulmans pour ne pas dire les Arabes et les Noirs… Une violence qui monte et des politiques qui ne prennent pas au sérieux les attaques », peste-t-il.
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L’islamophobie prend des proportions alarmantes en France et la peur gagne de plus en plus les cœurs des musulmans du pays. L’année dernière, 173 faits antimusulmans ont été recensés, selon les données du ministère de l’Intérieur. « On ressent une différence. Les réactions ne sont pas les mêmes après une attaque contre une église ou une synagogue. On ne demande pas un traitement de faveur mais l’égalité. Le pays doit soutenir et défendre de la même manière toutes les victimes », s’offusque Djamel, un informaticien trentenaire à Nancy.
« Parfois dans le RER ou à Paris, je croise des mauvais regards, mais je regarde ailleurs. Le jugement des autres ne me gêne pas. Ce qui m’inquiète est physique. Je me dis que je peux me faire frapper en rentrant un soir », craint Aïssatou, 25 ans, étudiante voilée en troisième année de droit à Paris. La jeune femme raconte que l’une de ses amies, également voilée, a été victime d’une agression en hiver. Une dame a tenté de lui arracher son voile dans le bus. Lotfi et Amine, deux travailleurs sociaux, s’exaspèrent : « La mort d’Aboubakar a tout fait remonter. On voyait, on entendait des histoires. Des mosquées vandalisées, des agressions et tout mais ça passait. Cette fois c’est trop. »
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Cette montée de l’islamophobie a poussé bon nombre de musulmans à quitter la France pour s’installer à Londres, Dubaï, New York, Casablanca ou Montréal. Dans un livre titré « La France, tu l’aimes, mais tu la quittes », publié aux éditions Seuil, trois sociologues Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin expliquent les raisons de cette situation. L’ouvrage est le résultat d’une enquête menée en avril 2024 auprès d’un échantillon de plus de 1 000 personnes qui évoquent la discrimination, la stigmatisation et les difficultés d’intégration comme raisons de leur exil. « Le malaise est profond chez les musulmans et ne l’a jamais autant été », a déclaré Tareq Oubrou, le recteur de la grande mosquée de Bordeaux, lors de la sortie du livre.