Au Maroc, les langues se délient chez des femmes victimes de violences sexuelles

25 février 2020 - 16h00 - Maroc - Ecrit par : G.A

Le collectif Masaktach a lancé un appel aux femmes victimes de violences à briser le mur du silence et à laisser, de façon anonyme, le récit du drame qu’elles ont vécu. Depuis, les témoignages fusent de part et d’autre, montrant l’enfer des violences que certaines femmes sont obligées d’affronter chaque jour.

En dix jours, la page Facebook du collectif Masaktach est inondée d’une trentaine de témoignages anonymes de femmes victimes de violences sexuelles. C’est à l’image des faits rapportés par cette Marocaine de 26 ans qui a raconté le viol dont elle a été victime en 2014. "Nous étions chez lui en train de regarder un film quand monsieur a décidé vouloir coucher avec moi. Je dis non, je refuse catégoriquement, un non sans sourire, un non sérieux, qui ne laisse pas l’ombre d’un doute", déclare-t-elle. "Monsieur a quand même continué, me menaçant, me forçant, me battant", finit-elle par avouer.

Les cas comme celui de cette Marocaine sont nombreux et restent la preuve que l’initiative du collectif est une véritable thérapie pour toutes ces femmes qui ont longtemps subi en silence. Masaktach est né en 2018 pour dénoncer la culture du viol et les violences subies par les femmes au Maroc. Ce collectif a commencé sa bataille avec "l’affaire Khadija", une jeune fille de 17 ans qui avait porté plainte pour avoir été séquestrée, violée et tatouée de force, pendant deux mois, par une dizaine d’individus.

Selon lemonde.fr, qui cite la dernière enquête nationale du ministère de la Famille, publiée en mai 2019, 54,4 % des femmes au Maroc ont été victimes de violences. Mais seulement 28,2 % parmi elles, se sont adressées à une personne ou à une institution, et 6,6 % ont porté plainte contre leurs agresseurs.

Masaktach n’est pas la seule initiative en faveur des femmes violentées. Il y a une influenceuse marocaine, Ghita alias "Baddunes", qui a créé en juillet 2019, une page Instagram dénommée "La vie d’une Marocaine". Elle regroupe aujourd’hui 45 400 abonnés et plusieurs centaines de témoignages sur le harcèlement. "Les femmes victimes de violences se sentent coupables. Sur cette page, elles sont soutenues pour avoir le courage de continuer à se battre", dit-elle fièrement.

Selon la même source, les femmes qui dénoncent les violences sexuelles, sont souvent sujettes à des moqueries, du harcèlement et des lynchages sur les réseaux sociaux. La société les désigne comme responsables de cet état de choses, souligne la sociologue Sanaa El Aji, auteure de l’ouvrage "Sexualité et célibat au Maroc". Selon elle, les femmes ne sont pas encore prêtes à témoigner à visage découvert, surtout quand on voit "la banalisation du crime sexuel et de la culture du viol". Pour Sanaa El Aji, au-delà de la mobilisation sur les réseaux sociaux, il faut des actions concrètes. Mais parce que "la sexualité demeure culturellement taboue, beaucoup n’osent pas prendre une position publique. D’autre part, certains militants considèrent que c’est un combat secondaire", se désole la sociologue.

C’est en cela que Stéphanie Willman Bordat, avocate et fondatrice associée de l’ONG Mobilising for Rights Associates (MRA), "travaille à faire comprendre que la criminalisation des relations sexuelles hors mariage, selon l’article 490 du code pénal, est un obstacle à ce que les femmes prennent la parole sur les violences dont elles ont été victimes". Elle dit avoir constaté, à plusieurs reprises, que les femmes qui portaient plainte pour viol, violence avec coups et blessures, ou pour violence facilitée par les technologies, se retrouvaient, à leur tour, poursuivies pour relations sexuelles hors mariage.

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Femme marocaine - Facebook - Instragram - Violences et agressions

Aller plus loin

Maroc : plus de 12 000 femmes victimes de violences

Au Maroc, 12.233 cas de violences faites aux femmes sont déclarées en 2018, contre 10.559 en 2017 avec 2.475 victimes de violences conjugales accueillies dans les différents...

Le Maroc ne protège pas assez ses enfants contre les violences sexuelles

Selon l’indice "Out of the Shadows", au Maroc, le gouvernement, le secteur privé et la société civile ne joueraient pas suffisamment leur rôle pour mettre un terme aux violences...

Maroc : les violences conjugales ont augmenté durant le confinement

Le confinement a fait exploser le nombre de femmes victimes de violences. La Fédération des ligues des droits des femmes affirme avoir reçu 515 appels téléphoniques, de la part...

Violences sexuelles : le silence coupable de la femme marocaine

Avec l’explosion des agressions et des viols dans la société marocaine, il devient plus que judicieux de se poser des questions sur l’origine de ces fléaux à la mode, et sur les...

Ces articles devraient vous intéresser :

Le chanteur Ihab Amir au cœur d’une polémique

Une réponse du chanteur Ihab Amir à un de ses abonnés Instagram suscite la controverse au Maroc.

Les autoroutes marocaines dangereuses ?

L’autoroute entre Agadir et Tanger est devenue un véritable cauchemar pour les chauffeurs routiers internationaux. Victimes d’agressions à répétition, certains n’hésitent plus à parler d’une « zone de non-droit ». Plusieurs d’entre eux, excédés,...

Le fisc marocain traque les influenceurs fraudeurs

La Direction générale des impôts (DGI) vient de lancer un contrôle des influenceurs des réseaux sociaux, ainsi que certaines professions libérales.

Maroc : des soupçons d’adultère conduisent à un drame

Le corps sans vie d’une jeune femme a été retrouvé au domicile de sa famille dans les environs de Berrechid. Soupçonné d’homicide, son mari en fuite a été arrêté par les éléments de la Gendarmerie royale relevant du centre territorial de Deroua.

Casablanca : une mère tuée d’un coup de couteau par son propre fils

Alors qu’elle tentait de sauver sa fille d’une agression physique, une mère de famille a été poignardée à mort par son fils dans l’arrondissement de Sidi Bernoussi à Casablanca.

Du rififi chez les chanteurs marocains

Dans une story sur son compte Instagram, l’artiste Hajar Adnane a affirmé ne pas être à l’origine de l’information selon laquelle certains artistes, dont Saida Charaf, « paieraient des intermédiaires pour pouvoir participer » à des festivals.

Pilules abortives : le Maroc face à un gros problème

Des associations de défense des droits des consommateurs dénoncent la promotion sur les réseaux sociaux de pilules abortives après l’interdiction de leur vente en pharmacie, estimant que cette pratique constitue une « atteinte grave à la vie » des...

« Tu mourras dans la douleur » : des féministes marocaines menacées de mort

Au Maroc, plusieurs féministes, dont des journalistes et des artistes, font l’objet d’intimidations et de menaces de mort sur les réseaux sociaux, après avoir appelé à plus d’égalité entre l’homme et la femme dans le cadre de la réforme du Code de la...

Des photos intimes de la chanteuse Rajoua Es-Sahely créent l’émoi

Plusieurs célébrités marocaines ont exprimé leur solidarité avec l’actrice Rajoua Es-Sahely dont des photos intimes se sont retrouvées sur internet.

Hassan II, 25 ans après sa mort : une légende toujours vivante

25 ans après son décès, le roi Hassan II reste une figure centrale dans l’imaginaire collectif marocain. En témoignent les vidéos documentant ses discours et conférences de presse qui cumulent des millions de vues sur YouTube, Facebook et X...