Code de la famille : le Maroc tiraillé entre modernité et traditions

5 juillet 2025 - 21h30 - Maroc - Ecrit par : Bladi.net

Deux décennies après la Moudawana de 2004, la nouvelle réforme du Code de la famille cherche à concilier droits humains et référentiel islamique. Mais le résultat, entre compromis idéologiques et silences juridiques, laisse apparaître de profondes contradictions.

Vingt ans après l’entrée en vigueur de la Moudawana, la réforme du Code de la famille est de nouveau sur la table. Annoncée par le roi Mohammed VI en 2022, cette refonte est censée corriger les lacunes d’un texte jugé en décalage avec l’évolution de la société marocaine. Mais entre engagements constitutionnels, traités internationaux et références religieuses, le Maroc peine à trancher. Résultat : un projet de réforme à la fois prometteur… et inachevé.

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L’article 19 de la Constitution de 2011 consacre l’égalité entre les sexes et l’engagement de l’État en faveur de la parité. Il crée même une Autorité pour la parité et la lutte contre les discriminations. Le préambule de la Constitution affirme par ailleurs la primauté des conventions internationales ratifiées sur le droit interne. Pourtant, ces principes sont systématiquement tempérés par la nécessité de respecter les « constantes du Royaume », dont la religion musulmane.

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Ce double référentiel crée des tensions majeures dans la réforme du droit de la famille. Ainsi, certaines recommandations avancées par les institutions démocratiques (Parlement, Conseil national des droits de l’homme, société civile) sont rejetées ou édulcorées lorsqu’elles entrent en contradiction avec l’interprétation traditionnelle des textes religieux. C’est le cas de l’introduction du test ADN comme preuve de filiation, de l’égalité successorale entre hommes et femmes, ou encore de l’interdiction absolue du mariage des mineures.

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À titre d’exemple, la parité dans l’héritage est expressément rejetée par le Conseil des Oulémas, qui invoque les versets du Coran et le principe de la qiwâma (responsabilité financière de l’homme). Ce rejet survient alors même que le Maroc a levé ses réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).

Dans d’autres cas, la réforme tente des compromis ambigus. C’est le cas de l’âge du mariage, fixé à 18 ans, mais avec une exception maintenue à 17 ans sur décision du juge, ce qui risque de perpétuer les dérives dénoncées depuis des années.

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On remarque donc les limites du modèle patriarcal dans une société en pleine mutation. Le Maroc connaît une urbanisation rapide, une montée de la famille nucléaire, un recul de la fécondité et une participation croissante des femmes au marché du travail. Pourtant, la structure du droit de la famille continue de reposer sur une hiérarchie hommes/femmes issue d’un ordre ancien.

La réforme du Code de la famille aurait pu marquer un tournant décisif vers une égalité substantielle. Mais en l’état, elle donne surtout l’image d’un texte prisonnier d’un équilibre politique et symbolique, qui tente de ménager les deux camps – moderniste et conservateur – sans aller jusqu’au bout des réformes structurelles.

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